La performance nous convie devant un immeuble du 18ème arrondissement de Paris.
L’auteur, metteur en scène et interprète Thibaud Croisy et la danseuse Sophie Demeyer guident les spectateurs à l’intérieur. Dans le salon-cuisine d’un appartement blanc à la fois vide et empli de petits signifiants, objets-traces, lecteur cd, relief de repas, exemplaire de Martine fait du théâtre, les invités cherchent leur place.
Le décor est planté: nous voilà placés entre la sincérité d’un lien ressenti et consenti à l’habitat, à l’intérieur, à l’intimité et l’humour d’une auto-fiction, la référence et le jeu avec les codes du spectacle.
Sur sa feuille de salle, Thibaud Croisy raconte sa rencontre avec Sophie Demeyer: «la première fois que j’ai vu le visage de Sophie Demeyer […] la première où je l’ai observé attentivement, j’y ai trouvé très rapidement une ressemblance troublante avec l’appartement dans le quel je vivais à l’époque».
Des années plus tard, il l’installe dans son appartement parisien.
Nous la voyons — présence neutre, regard absent, incarnation fantomatique — effacer les traces d’un moment vécu.
Elle range, avec des gestes mesurés, les traces d’un instant passé.
Ici, à cette table semblable à tant de tables, quelqu’un a mangé, quelqu’un a fumé, quelqu’un a bu plusieurs bières, quelqu’un s’est mouché et a pris un cachet effervescent. Les gens ressemblent-ils aux lieux?
Ce n’est plus cette question qui habite Thibaud Croisy avec cette création. Il s’agit plutôt, comme le raconte sa voix lorsque Sophie Demeyer lance le CD, de percevoir les différents corps, les différents individus qui ont peuplé le volume interne de l’appartement.
Qui a vécu, qui a aimé ici? Qui est mort, qui s’est blessé, avec qui l’auteur a-t-il, un jour, fait l’amour dans cette pièce? La femme dont la voix dit avoir oublié le visage était-elle allongée là où est morte une précédente propriétaire?
Je pensais vierge mais en fait non suggère la présence des corps précédents par de menus objets et des gestes insignifiants. Le temps est circulaire. Ce qui a été effacé est replacé, à l’identique, par cette femme mise en scène dont la peau dénudée porte sans aucun doute autant d’histoires passées et à venir que la pièce qui la contient.
Occupés à regarder et non à faire, l’auteur comme les spectateurs semblent ne pas réellement marquer l’espace tandis que le texte lu appelle à toujours le considérer comme empli d’absences multiples.
Une performance légère qui a le mérite de mettre en jeu les pensées quotidiennes sur l’espace et le temps.