— Éditeurs : Carré d’Art, Nîmes / Artium, Centro-Museo de Arte Contemporaneo, Vitoria
— Année : 2003
— Format : 29 x 22,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 143
— Langues : français, anglais, espagnol
— ISBN : 2-907650-29-7
— Prix : non précisé
Un corps comme étranger aux faits
par Daniel Dobbels (extrait, pp. 27-28)
Quel est ce souci si intime qu’il semble toujours premier dans l’œuvre de Pérez ? Qu’une forme, matérielle ou immatérielle puisse naître sans être, avant même de respirer et de se mouvoir, dévisagée. Ou encore, sortie du trou ou soulevée au-dessus de la surface, sans être prématurément fêlée ou cassée ou détruite avant d’avoir été touchée par un sens…
Sens du neuf — qui vient chiffrer d’un geste le temps initial d’une existence (que celle-ci ait comme destin d’être portée à sa forme ou errante dans une rue). Geste qui ne peut être que délicat… C’est-à -dire, pour reprendre ici une pensée d’Artaud, si concentré dans les forces qu’il met en Å“uvre qu’il ne pourra apparaître que faible en surface. Dans le Théâtre de Séraphin, Artaud écrit : « C’est dans le ventre que le souffle descend/ et crée son vide/ d’où il le relance au sommet des poumons. Cela veut dire : pour crier je n’ai pas besoin de Ia force, je n’ai besoin que de Ia faiblesse, et la volonté partira de la faiblesse mais vivra, pour recharger la faiblesse de toute la force de Ia revendication. Et pourtant et c’est ici le secret, comme au théâtre, la force ne sortira pas. Le masculin actif sera comprimé et il gardera Ia volonté énergique du souffle. Il la gardera pour le corps entier, et pour l’extérieur il y aura un tableau de Ia disparition de la force auquel les sens croiront assister… ». [Antonin Artaud, Le Théâtre de Séraphin, in Å’uvres complètes, t. IV, Paris : Gallimard, p. 177]
Très fine fêlure qui sépare le corps de sa propre puissance, qui veut que celle-ci soit rentrée pour que son extériorité s’aère. L’espace des œuvres ou actions de Pérez n’est pas théâtral, mais il en est le revers et la doublure et le tissu retourné. Porosité que la peur ne hante plus (courage de s’en tenir à l’étrangeté que le corps, respecté, exige silencieusement, implicitement).
C’est de Ia disparition de cette force qu’il est ici (partout chez Pérez) question… Il faut — mais aucune loi ne dicte ce devoir d’étrangeté, ni ne l’impose, ni ne le comprend — que le corps reste entier pour qu’il donne à voir Ia force qu’il a de disparaître, le pouvoir qui est aussi le sien de se donner la force de disparaître : altruisme non marqué, politique de Ia puissance divisée, éthique masquée, dénuée de toute indécence. Sans ce corps entier, sans cette force qui ne sort pas de lui, ni Camisa de aire, ni Mascara ceremonial. Car elles se lèvent ou se dressent et trouvent leur axe et leur lévitation, de cette disparition même. Ces pièces sont, littéralement, ses seconds souffles. Santé limite du corps qui, au-delà de ces forces, voit son espace visité par des figures sans concession, aux territoires illimités et libres de toute assignation. Elles serrent ou aimantent le temps à partir de zones non directives et non directionnelles. Elles ne sont pourtant ni inquiétantes ni écrasantes. Elles veillent plutôt à ce que leur apparition pourrait avoir d’unheimlich, s’estompe. Elles ne sont pas familières non plus. Elles sauvegardent ce qui, dans l’étrangeté, fait preuve de loyauté. Elles suggèrent que l’étendue des choses, l’extension des corps sont pour le vide même d’une modalité insoupçonnée.
(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions du Carré d’Art)
L’artiste
Javier Pérez est né en 1968 à Bilbao, Espagne. Mastère de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 1993. Prix Gure Artea et prix « Œil critique » (RNE) en 1998. Il vit et travaille à Barcelone.
L’auteur
Daniel Dobbels est écrivain et chorégraphe.