Laura Lafon
J’apprendrai à ta mère à faire du gazpacho
Il existe une photographie qui dévoile l’âme d’un lieu, se précipite sur sa proie, le grand festin n’attend pas qu’on ait tout déballé. Les images se partagent, véritable mise à nu de celui (ou celle) qui s’obstine à traquer sa propre dérision. Dans ce décor kurde un peu kitsch, la sensualité interroge les conventions sexuelles et sociales d’un mariage avorté. Laura Lafon voyage dans ce pays-là réinventé, une seule idée en tête: l’amour. Elle entre en transe par effraction, comme dans une danse du feu, cherche à provoquer nos yeux, confronter son propre visage aux cheveux d’une lumière «sauvagée», à l’exotisme ombragé.
Son flux tendu s’accroche à nos sens comme une profonde apnée, un raz-de-marée brutal. L’énergie narrative réenchante alors le monde, laissant le documentaire occidentalisé mendier sa part du gâteau. Son travail ne se maîtrise pas; il vit trop librement au rythme d’une écriture photographique ambivalente, créant la surprise d’une nouvelle forme d’ironie heureuse et drôle, faite de jeux interdits et de mots cruels, d’intimité familiale et de rencontres de passage. Et ce manifeste de l’amour utopique.
Un monde du livre se met en scène peu à peu. Il refuse les normes d’une immoralité cachée en nous par le poids des sociétés; des bonnes intentions prises au piège entre «modernité» et respect des traditions, travail acharné et tourisme empaqueté, mariage et (non-)sexualité… Laura Lafon cherche à comprendre cette désorientation dans le regard de l’Autre, au-delà des apparences trompeuses. L’objet d’un livre s’y réfléchit avec intelligence et devient l’âme blessée du monde contemporain. Une chevelure rouge sang incendie pour y être dévorée en entier.