Aprés avoir fondé en 1996, avec l’aide de Yuha-Pekka Marsalo, l’Expérience Harmaat, un groupe qui réunit des créateurs de différentes disciplines autour de la danse, Fabrice Lambert en assure désormais la direction artistique. Il propose au Centre Pompidou Jamais assez, présentée pour la première fois en 2015 au festival d’Avignon, dans le cadre de la programmation « in ». Jamais assez s’inspire d’un fait d’actualité, un projet véritablement prométhéen d’enfouissement de déchets nucléaires.
Prométhée déchaîné
Peu de temps après l’accident de Fukushima, le documentaire du réalisateur finlandais Michael Madsen, Into Eternity (2011) retient l’attention de Fabrice Lambert, lequel a toujours été sensible à la science et à ses évolutions, comme le rappellent ses pièces précédentes que sont Nervure, Solaire ou Gravité. Into Eternity s’ouvre sur ce commentaire : « I am now in this place where you should never come. » Ne jamais venir dans cet endroit, situé en Finlande, dans lequel 250 000 tonnes de déchets radioactifs, dont la nocivité estimée est de 100 000 ans, devraient être ensevelies.
Le titre même du film documentaire de Michael Masden prend alors tout son sens : aborder la question de la mémoire et le paradoxe à l’œuvre dans une entreprise si démesurée, celui de l’oubli résolu d’un tel lieu. Et dès le début de la pièce de Fabrice Lambert, une voix se fait entendre, reprenant le commentaire initial du film : « Je veux vous dire que vous êtes dans un lieu où l’on a enterré quelque chose pour vous protéger. On a pris grand soin d’assurer votre protection. Vous devez savoir que ce lieu ne doit pas être dérangé. Vous devez aussi savoir que ce lieu n’est pas un lieu d’habitation. »
Jamais assez
D’emblée, les jeux de lumières plongent le public dans ce lieu étrange sinon fascinant, et révèlent sur la scène nue une masse sombre que l’on devine être ensuite, les lumières s’intensifiant, un groupe de danseurs. La lumière se fait plus forte et la clarté envahit le plateau ; les interprètes se jettent alors au sol, comme s’ils étaient violemment frappés par celle-ci. Ainsi se développe la métaphore des effets de la radioactivité.
Car de manière frappante, la lumière joue un rôle essentiel dans la construction de Jamais assez. Elle dessine en effet les silhouettes des corps, suggère l’unité du groupe de danseurs ou son atomisation en inondant le plateau d’une clarté dénudante. Un cercle lumineux au-dessus de la scène recouverte d’un linoléum blanc complète le dispositif scénique pour laisser toute leur place aux mouvements des danseurs.
Sous ce dispositif lumineux, les interprètes expriment les conséquences réelles et possibles des effets radioactifs. On peut voit les corps se défaire et suggérer l’explosion des particules atomiques au travers d’une série de gestes brusques. Le mouvement d’ensemble de Jamais assez est maîtrisé pour évoquer semble-t-il la grande difficulté à contenir cette énergie ultimement destructrice qu’est le nucléaire. Une tension est toutefois perceptible entre l’agencement chorégraphique d’ensemble des mouvements des danseurs et les écarts que l’on peut constater lorsque les interprètes composent une ronde qui se dédouble pour former un huit couché évoquant l’infini.
Sur scène, les danseurs enchaînent alors rapidement les tours et tentent de maintenir un équilibre précaire au point d’intersection des deux anneaux. Une fumée envahit soudain la scène, et masque le mouvement d’ensemble, pour ne laisser voir que l’épuisement des interprètes. Les deux anneaux se brisant, les danseurs s’éparpillent.