Johan Grimonprez
J’ai oublié mon parapluie
Johan Grimonprez est passé maître dans la dé/reconstruction de notre vision viciée par l’info mondialisée, la célébrité et les apparences. Il réévalue notre rapport à l’image à travers le rôle prédominant de l’actu sur notre conscience du monde et de nous-mêmes. Le documentaire dial H-I-S-T-O-R-Y, « un hybride filmique sur les détournements d’avion”, annonçait les prémices du 11/09 à travers une analyse anticipatrice de l’infotainment. Le phénoménal succès de dial H-I-S-T-O-R-Y au moment de sa sortie, puis après la pulvérisation médiatico-planétaire du 11/09, a souligné la puissance visionnaire de l’artiste belge, considéré aujourd’hui comme l’une des grandes figures contemporaines de la réflexion sur les mass médias.
L’écriture cinématographique de Johan Grimonprez est basée sur le détournement et la subversion du sens de lecture. Articulant found footage et prise de vue réelle, citation littéraire et invention, ses vidéo-collages jouent sur les limites entre fiction et réalité. L’artiste a le don de manipuler et superposer toutes sortes de sources, créant son propre langage métaphorique et poétique, développant ainsi une autre narration entre documentaire et fiction. Pour lui, ses films sont les « enfants bâtards » des médias contemporains et du zapping : « Notre rapport au monde à travers sa représentation a modifié notre rapport au réel ».
L’exposition «J’ai oublié mon parapluie», conçue par Johan Grimonprez comme la miniature d’une des salles de sa rétrospective au Pinakotheque der Modern de Munich, est surtout une excroissance de Double Take, (présenté à la Galerie fin 2008), deuxième volet filmique d’une trilogie questionnant la société de l’image contemporaine. Ce nouvel essai explore cette fois la confusion identitaire contemporaine au travers du cinéma et des séries TV d’Hitchcock, ainsi qu’au moyen de références ouvertes à Magritte et Borges. “Jouer sur les frontières entre le même et presque (ou pas tout à fait) le même, est un thème récurrent de mon travail, explique Johan, d’où mon intérêt dans Hitchcock et Magritte, qui tous deux anticipent sur les questions de doublure et de copie. Pour moi, Magritte est un artiste du copier-coller avant-la-lettre”.
Pour les besoins de Double Take, Grimonprez a mené une série de casting à la recherche du sosie parfait du cinéaste. A Londres, il a trouvé le “wrong man” idéal, Ron Burrage, un double professionnel d’Hitchcock qui s’est complètement projeté dans la personnalité du cinéaste, et dont l’artiste a fait l’axe rotatif de son nouveau projet.
«J’ai oublié mon parapluie» peut donc être considérée comme un « teaser », une sorte de bande annonce de son deuxième grand film très attendu. Cependant, elle nous offre aussi la possibilité de mieux saisir le vocabulaire métaphorique et les lignes narratives de l’artiste belge. Il faut en effet considérer cette furtive installation comme une pensée en oeuvre : mise en abîme de dessins originaux couchés sur les propres pages du livre Looking For Alfred, vidéo, photos de casting, citations littéraires et articles basés sur des faits réels, J’ai oublié mon parapluie mêle documents originaux et copies, vrai et faux. Elle se lit comme un rébus sans fin, projet et commentaire du projet se faisant face, comme deux miroirs multipliant leurs reflets dans une infinité de doubles du double du double du double….
C’est peut-être inconsciemment, au détour de son entretien avec Chris Darke pour l’ouvrage Looking for Alfred que Grimonprez nous livre « le » passe pour son oeuvre à tiroirs : “ Les Dupont et Dupont sont profondément Belges. Dans leur ubiquité on retrouve toute la schizophrénie d’un pays où cohabitent deux langues; l’un reprenant, traduisant ou ironisant sur ce que l’autre dit. En Belgique, tout doit être dupliqué ou traduit. Aussi, le malentendu devient culturel, comme une vraie poésie de l’erreur d’interprétation. Les mots et les choses finissent par être totalement déconnectés. Le fait d’être constamment confronté à l’autre face des choses aiguise votre sens de l’ironie, qui devient comme une seconde nature.»
Charlotte Léouzon
critique
J’ai oublié mon parapluie