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Jacob Kassay

Jacob Kassay obtient ses toiles par un procédé industriel et chimique de galvanisation. La surface de ses œuvres nous fait plonger dans le monde flou et indistinct de leur matière argentée. Elles ressemblent à d’imparfaits miroirs qui reflètent l’entourage et enregistrent les couleurs et la lumière, dans une atmosphère brouillée. Le spectateur se voit et l’extérieur se reflète à travers un verre opaque et un voile brumeux. Une mise en abyme de l’espace d’exposition.

Le spectateur devient entièrement partie prenante du processus d’existence et de création de l’œuvre. Narcissique, il est acteur et spectateur de la toile qu’il modifie et altère en la regardant. Selon le lieu et l’instant, les œuvres de Jacob Kassay deviennent autres. Son travail prend appui sur une matière miroitante et reflétante, une matière qui permet au spectateur de se projeter dans un autre monde, immatériel. Chaque toile n’existe alors plus que parce qu’on la regarde et rend visible une autre réalité, floutée.

A travers cette suite de monochrome, l’exposition propose une réflexion sur la sérialité et l’impossible répétition. Même si les œuvres paraissent interchangeables à travers le processus sériel et industriel, chaque œuvre reste unique. Elles portent chacune en elles, les traces discrètes et uniques des passages et regards des spectateurs, empreintes du temps, marques mélancoliques et réflexion sur la mémoire.

On pense alors aux monochromes de Pierre Soulages. Dans la matière opaque de l’outre-noir, un monde apparaît sous l’œil du spectateur, un monde de reflets, de lumières, de couleurs et de vibrations.
De la même manière, les monochromes de Jacob Kassay nous font passer du monde matériel au monde immatériel. Pendant ce moment privilégié où le spectateur devient constitutif de l’œuvre, dans le prisme d’un miroir déformant, la toile nous dévoile une autre vérité. Ses peintures industrielles assurent une transition visuelle où le cadre devient miroir d’une réalité volontairement opaque. Une alchimie artistique où la couleur argent métallique devient l’espace de nos projections.

En utilisant une illusion de miroir, l’œuvre de Jacob Kassay s’inscrit volontairement dans l’histoire de l’image et de la théorie de la peinture: l’art est-il le miroir ou le reflet du monde? Alors que pour Leon Battista Alberti la peinture dont le miroir est emblème, est une fenêtre ouverte sur le monde qui donne à voir la réalité, la peinture de la Renaissance est un miroir du monde, une représentation la plus véridique possible de la réalité. Le miroir est également devenu un medium depuis le Grand Verre de Duchamp jusqu’aux œuvres du Land art et de l’arte povera comme chez Michelangelo Pistoletto, un miroir comme support et surface. Les tableaux de Jacob Kassay s’inspirent de toutes ces traditions. Entre miroirs vides, miroirs déformants et miroirs fenêtres, son œuvre critique et abolit la quête de la ressemblance et de la vérité du monde pour chercher un ailleurs.

La manière dont ces fines pellicules argentées capturent les délicats reflets de ce qui se présentent à elles, rappellent aussi avec nostalgie un autre médium : les premiers temps de la photographie, celui perdu de la photographie digitale. Exposition mémorial sur l’image perdue et insaisissable, l’œuvre de Jacob Kassay nous aura ouvert une fenêtre-miroir sur un autre monde, flou, aux contours imparfaits et immatériel, le temps d’un passage devant chaque œuvre.