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Jacky Evrard

Jacky Evrard
Délégué général et directeur artistique du festival Côté Court
La XXIe édition du festival Côté Court a eu lieu du 06 au 16 juin 2012 à Pantin, Ciné 104.

Laetitia Chazottes. La XXIe édition du festival Côté Court 2012 vient de s’achever, avant de revenir sur cet évènement, pouvez-vous nous parler de l’origine et des débuts du festival qui est le premier en région parisienne dans le domaine du court métrage?
Jacky Evrard. Cela remonte aux débuts des années 1990. A cette époque on constate qu’il n’y a plus en région parisienne de festival dédié aux formes courtes. Jusqu’en 1989, il y avait un festival important qui se déroulait à Epinay, le seul en Ile-de-France. Ce festival a connu quinze éditions. Louise Vigaud en était la déléguée générale. La dernière année elle m’a demandé de participer à la sélection sachant que je m’intéressais depuis longtemps à ces formes courtes et que je programmais à Pantin, au Ciné 104, des projections de courts métrages, que par ailleurs j’appelais «Côté Court».
Le festival d’Epinay s’est donc arrêté en 1989 principalement pour des questions de financements mais aussi de fréquentation, il y a eu un essoufflement pour ainsi dire. Le Conseil général de la Seine-Saint-Denis, qui souhaitait à la fois travailler sur la diffusion du court métrage sur le territoire départemental, mais aussi répondre à la question de l’aide à la production de cette forme de cinéma, m’a proposé de réfléchir à la mise en place d’un festival. C’est ainsi qu’est né Côté Court.
En 1992 a eu lieu la première édition qui, dans sa forme globale, s’approchait de ce qu’est le festival aujourd’hui. Il y avait déjà l’idée de faire une compétition et parallèlement des rétrospectives. L’enjeu étant d’avoir un regard tant sur la création contemporaine que sur des auteurs choisis ou des genres cinématographiques spécifiques.

Le festival est consacré aux films courts, quelle est la définition selon Côté Court d’un court métrage?
Jacky Evrard. Disons qu’il y a une définition officielle. Autrefois, le Centre National de la Cinématographie caractérisait cette forme en métrage. Aujourd’hui, avec le numérique, un court métrage se définit par sa durée qui doit être inférieure à une heure, à savoir cinquante neuf minutes et cinquante neuf secondes. Cependant, une fois que l’on a dit cela, on a tout dit et rien dit. Aussi, le film court existe-t-il par rapport au territoire qu’il occupe, lié tant à son esthétique qu’à son économie.

Qu’est-ce qui, au-delà de la durée, différencie un court et un long métrage? Des points de vue de l’esthétique, des thématiques, ainsi que de l’économie?
Jacky Evrard. Le long métrage répond à une réalité économique qui lui est propre. Il s’agit, a priori, d’un film qui coûte cher et par conséquent qui nécessite des financements importants. Aujourd’hui, il y a un grand écart entre les longs métrages à petits budgets et les grosses productions. Cela étant, dans les deux cas il faut trouver des financements. Ils viennent souvent des diffuseurs (les chaînes de télévision notamment) qui ont tendance à imposer leur diktat. Aussi, dans le long métrage la production est-elle relativement balisée.
A l’inverse, le court métrage est un espace de totale liberté: une liberté dans le récit mais aussi dans l’esthétique. En effet, la forme courte est beaucoup moins soumise aux contraintes des diffuseurs. Il s’agit véritablement d’un espace de recherche.
A Côté Court, on reçoit environ mille deux cents films. Certains réalisateurs abordent le court métrage comme un espace de liberté pour expérimenter des écritures, d’autres se conforment à des codes «télévisuels». En effet, le court métrage peut être envisagé par certains réalisateurs comme une «carte de visite» afin de montrer leurs savoir-faire et ainsi démontrer qu’ils sont en capacité de passer du court au long. Le court métrage a toujours eu ce rôle là. Généralement, ce ne sont pas ces films-là qui retiennent l’attention de Côté Court.
La spécificité du festival est d’aller vers des cinéastes qui utilisent cette forme comme un espace de liberté et de recherche. Cependant entre un court métrage de quelques minutes et un de cinquante la forme change. Un film de cinquante minutes nous plonge déjà dans un récit, il s’apparente au long dans la mise en place de la narration. Pour un film de six minutes par exemple c’est différent, ce n’est pas tant que le cinéaste va à l’essentiel mais disons qu’il ne raconte pas les mêmes choses. La durée d’un court métrage ne change rien à la qualité du film. Il y a des productions tout à fait formidables sur de courtes durées. Je pense, par exemple, au film de Laurent Achard, La Peur, petit chasseur. En neuf minutes et un plan séquence le cinéaste nous plonge dans un drame conjugal sans rien monter de celui-ci. Ce court métrage n’est pas un exercice de style, il s’agit bien d’un film réalisé dans une économie propre à la forme courte.

Ainsi, l’économie du court (coût de production) et ses modes de diffusion diffèrent de ceux du long. Cette sorte de plus grande légèreté économique du court s’accompagne-t-elle d’une plus grande liberté, et si oui, de quel type?
Jacky Evrard. Evidemment. Comme je le disais, il y a dans le court métrage une véritable liberté esthétique, la possibilité d’expérimenter, mais pourquoi pas aussi de rater un peu. Parfois, en tant que sélectionneur, je préfère un film un peu «raté» mais dans lequel on sent une démarche cinématographique, une volonté, une recherche.
Concernant l’économie du court métrage, il est vrai que celle-ci est marginale. Il n’existe pas de réelle économie des films courts. Evidemment il y a les aides de l’état, des régions, des chaînes de télévision qui permettent la production d’un certain nombre de films, mais cela est très limité. Il en est de même pour la diffusion. Il existe, entre autre, l’Agence du court métrage qui sert de distributeur aux salles qui souhaitent programmer ce type de films. Sinon, la diffusion se fait principalement via les festivals, nombreux en France.

Lors de ce XXIe festival plus de 250 films ont été présentés, quelle est la spécificité de cette dernière édition?
Jacky Evrard. La XXIe édition est la première d’une nouvelle décennie. L’année dernière c’était l’édition anniversaire du festival. Avec cette nouvelle édition on a envie de redémarrer quelque chose. Evidemment, on ne repart pas de zéro, on poursuit et affirme les orientations engagées les années passées.
Un festival c’est un espace où l’on voit le cinéma en devenir, ses changements, ses déplacements. Lorsque je disais «court métrage: espace de liberté», ce n’était pas des paroles en l’air!
Le court métrage est réellement un espace d’expérimentation, par conséquent le festival est un révélateur des bouleversements qui s’opèrent. Ces dix dernières années il y a eu de nombreux changements liés notamment à l’avènement du numérique. En effet, avec le numérique les modes de production ont évolué. Aujourd’hui, on peut faire un film avec très peu de moyens: une caméra de bonne qualité et un logiciel de montage suffisent. Autrefois, Côté Court recevait des films qui venaient essentiellement d’Ile-de-France car c’était là que se trouvaient les laboratoires, les professionnels, etc. La production de films était donc très localisée. Aujourd’hui, le festival reçoit des films en provenance de la France entière. Il y a eu une réelle démocratisation. De plus en pus les films sont auto-produits, n’ayant plus besoin de passer par les modes de production habituels ce qui a une incidence sur la forme qui ne passe pas nécessairement par l’écriture d’un scénario formaté.
A Côté Court on souhaite développer toute la relation qu’entretient le cinéma avec les autres disciplines artistiques. Cette orientation a été engagée il y a quelques années déjà, cependant ce point a véritablement été l’articulation de cette XXIe édition. Côté Court s’ouvre de plus en plus aux formes hybrides, mais qui restent néanmoins cinématographiques.

Comment la présélection s’est-elle déroulée? Quels ont été les critères de sélection?
Jacky Evrard. Je m’occupe seul de la présélection. La compétition comprend deux sections: fiction et expérimental, essais, art vidéo. Nous avons reçu environ mille deux cent films, je les regarde tous et opère un choix. J’ai vu des milliers de films! Aujourd’hui encore j’ai besoin d’être étonné! C’est a priori le seul critère. Un film doit être novateur et original. Il n’y a pas de grille préétablie.
En marge de la compétition il y a les «panoramas» présentant des documentaires, mais aussi des films d’animation, pour cette catégorie ce sont des collaborateurs qui se sont occupés de la sélection.

Certains courts métrages du palmarès 2012 ont déjà été primés dans d’autres festivals. On pense à Ce qu’il restera de nous, de Vincent Macaigne, primé au festival de Clermont Ferrand, ou encore à Il se peut que la beauté ait renforcé notre résolution / Masao Adachi, de Philippe Grandrieux, qui a reçu le Prix New Vision à Copenhague. Côté Court ne privilégie donc pas l’exclusivité. Pensez-vous que cela puisse avoir une influence sur le choix final du jury?

Jacky Evrard. Non pas du tout! Un court métrage a une durée de vie d’un an environ, entre le moment où il est produit et sa première sélection dans un festival. Côté Court se déroule en juin. Nous avons donc des films qui viennent juste d’être terminés et d’autres qui ont déjà été présentés dans différents festivals.
Ce que je rappelle toujours au jury c’est que les films que je sélectionne sont tous en compétition quelque soit l’auteur, connu ou non, et les prix qu’ils ont déjà pu recevoir. Un court métrage déjà primé dans un festival doit-il être privé d’une seconde récompense?
Paradoxalement, je pense qu’un prix peut être préjudiciable à un court métrage, notamment au moment des délibérations du jury, cela peut intervenir comme un argument. Cela étant, je ne crois pas que cela ait une incidence majeure sur le choix du jury.

En marge de la compétition officielle vous présentez tout un panel d’autres films répartis en différentes catégories: panorama, écrans libres, rétrospective, focus, etc., mais aussi des performances, des rencontres, etc. Pourquoi ne vous limitez-vous pas à la compétition officielle? Qu’est-ce qui distingue toutes ces catégories? Quels sont les enjeux de cette ouverture du festival?
Jacky Evrard. Se limiter à cinquante films en compétition est trop restrictif, compte tenu de la production cinématographique. La catégorie «Panorama» permet d’élargir les propositions faites en profitant du festival comme d’une vitrine pour d’autres films qui ne sont pas en lice. Beaucoup de films méritent d’être vus et bien au-delà de ce que propose Côté Court! Le Panorama sert à cela. Il permet également de montrer des documentaires et des films d’animation qui ne trouvent pas leur place dans la sélection officielle. Cette catégorie s’organise comme une programmation.
Le festival comprend aussi la catégorie «Ecrans libres». Il s’agit de la projection de longs métrages proposés par des réalisateurs qui ont été présentés à Côté Court et qui sont passés à une œuvre plus longue. Ces films trouvent leur place ici dans la mesure où ils ne sont pas nécessairement destinés à une sortie en salle. Il s’agit aussi de suivre les réalisateurs découverts à Côté Court et de les accompagner au-delà du festival.
L’arborescence de propositions faites autour de la compétition est une illustration de l’état actuel du cinéma: performances, focus, etc., tout cela s’inscrit dans une volonté de montrer des artistes qui viennent d’autres horizons et de donner à voir leurs propositions qui divergent du cadre cinématographique habituel.

En 2004, vous avez ouvert la compétition au cinéma expérimental, essais et art vidéo, d’où vient cette volonté? Pourquoi ce choix? Qu’est-ce qui distingue le cinéma expérimental du film court dit «classique»?
Jacky Evrard. Les écritures cinématographiques se cherchent jusqu’à la fin des années 1920. Ces années-là ont été très riches pour le cinéma expérimental. Les artistes, les plasticiens se sont emparés du cinéma et ont fait des propositions radicalement différentes de ce qui pouvait se faire alors. Je pense à Duchamp, aux surréalistes, au mouvement Dada, etc. De ces tentatives sont nées toutes les tendances du cinéma expérimental.
Ces formes-là étaient déjà présentées à Côté Court. Cependant il n’y avait pas de section spécifique. Nous proposions juste la section «Fiction», et il était difficile d’intégrer la forme expérimentale à cette catégorie. On pouvait retrouver la branche expérimentale dans les rétrospectives par exemple. Je pense entre autre à Pelechian dont les films étaient présentés lors de la première édition.
A la fin des années 1990, j’ai constaté que des changements s’opéraient. On s’est aperçu que les artistes commençaient à s’emparer de l’outil vidéo. De nouvelles écoles voyaient le jour: les Beaux-Arts de Cergy, le Fresnoy, etc. Une fois diplômés, les étudiants des écoles d’art avaient deux issues: soit ils se dirigeaient vers le cinéma expérimental dit traditionnel (travail sur la vitesse, la lumière, le grattage, etc.), soit vers l’art vidéo. Nous recevions de plus en plus de films de ce type, c’est alors que nous avons décidé de créer cette section.

Cette année le réalisateur Apichatpong Weerasethakul a été l’invité d’honneur. Figure emblématique du cinéma thaïlandais, il a été primé au festival de Cannes en 2010. Apichatpong Weerasethakul commence sa carrière en réalisant des courts métrages et un documentaire expérimental, avant de se lancer en 2002 dans le long Blissfully Yours’, une fiction dramatique. L’invitation de Apichatpong Weerasethakul apparaît comme un choix fort, témoigne-t-elle d’une volonté de démocratiser le cinéma expérimental?
Jacky Evrard. Apichatpong Weerasethakul est au cœur des questionnements actuels de la relation du cinéma avec les autres formes artistiques. Il est très représentatif de cette tendance, d’autant qu’il est porteur d’un vrai projet de cinéma. Apichatpong Weerasethakul est constamment en recherche. Il produit aussi bien des films, que des expositions. Par ailleurs, c’est un cinéaste qui a une reconnaissance internationale. Son travail bénéficie d’une grande visibilité et ses préoccupations font écho à celles de Côté Court.

Pouvez-vous dresser un bilan de la fréquentation du festival? Quel est le public de Côté Court? A-t-il évolué au fil des années? Qu’est-ce qui, fondamentalement, distingue les publics du court et du long?
Jacky Evrard. Le festival a vingt et un an par conséquent son public a évolué avec lui. Néanmoins ce que l’on remarque c’est que le public est jeune, entre vingt et trente ans. C’est un public qui, de toute évidence, sort, va au cinéma, se rend à des concerts, visite des expositions, etc. A Côté Court il n’y a pas véritablement de noms connus, les cinéastes présentés sont pour la plupart en devenir. Il s’agit donc d’un public curieux, désireux de partir à la découverte de nouveaux réalisateurs. Ils viennent ici avec la certitude qu’ils vont voir des films difficilement visibles ailleurs.
Le festival bénéficie d’une bonne fréquentation, nous dépassons les dix mille spectateurs. Le public varie selon les propositions. Par exemple, les personnes qui viennent voir la compétition Fiction ne sont pas nécessairement les mêmes que celles présentes aux projections de la section Expérimental. Tout comme la présence d’Apichatpong Weerasethakul a attiré un public de cinéphiles bien spécifique.
Côté Court touche donc des intérêts différents. Au-delà de ça, il s’agit aussi d’un lieu de rencontres et d’échanges. On vient voir les films, mais on peut aussi en discuter et rencontrer les réalisateurs. C’est une véritable ruche! Un lieu d’effervescence! Cet aspect du festival est essentiel. En effet, il y a peu de lieux de parole autour de la forme courte. Par ailleurs, c’est aussi important pour les réalisateurs. Aujourd’hui on peut quasiment faire un film seul. Le festival apparaît alors comme le moment où le cinéaste peut se confronter à un public, à des regards et ainsi échanger sur son travail.

Quels sont les projets de Côté Court pour 2013? Avez-vous déjà une idée de l’orientation que prendra la XXIIe édition?
Jacky Evrard. Evidement la prochaine édition dépendra des films reçus. Cependant, nous allons poursuivre le travail engagé. L’idée serait peut-être d’organiser autour d’un artiste (plasticien, musiciens, écrivain, etc.) plusieurs temps forts en lien avec le cinéma et la forme courte.
Ce XXIe festival a été la première édition d’une nouvelle décennie, il s’agit donc de conserver l’esprit de cette année!

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