ART | CRITIQUE

Jack Pierson

PMarguerite Pilven
@12 Jan 2008

L’univers du cinéma traverse les nouveaux travaux de Jack Pierson, avec des portraits de Judy Garland et des protagonistes de Mort à Venise, le livre de Thomas Mann porté à l’écran par Visconti. Mais la présence du cinéma s’exprime surtout dans le rythme de l’exposition où les œuvres fonctionnent comme autant de séquences, une suite ordonnée d’éléments, d’objets, de mots.

Assemblant des lettres prélevées d’enseignes différentes, Jack Pierson réalise des sculptures-mots. Leur disposition dans l’espace constitue un prolongement plastique de la signification. Cette articulation du sens et de la forme, du lisible et du visible, constitue toute la force et la charge poétique de ces propositions.

Posé sur le sol, un désordre de lettres forme le mot «Salvation». Couchées, mises à l’envers ou en équilibre instable, elles décrivent une dérive, la dissolution du mot porteur de sens. Fixée à la cimaise, «The Underground» se compose essentiellement de lettres montées à l’envers, un envers du décor creux et désolé.
Trois lettres denses et rouge ponctuent le mot «Romance». Mais le A est maladif et rouillé, le N inversé et sinistre, qui viennent gangrener l’ensemble et distiller le doute.

Des tableaux s’intercalent entre ces sculptures, dessins à l’encre directement esquissés sur la toile. Dans un style graphique volontairement naïf et brut, Pierson dessine les protagonistes de Mort à Venise, l’adolescent Tadzio et le compositeur Gustav Von Aschenbach dont le séjour à Venise sera vicié par la beauté troublante du jeune garçon et le Sirocco soufflant la mort.
À côté, une silhouette d’homme nu est croquée, qui exhibe ses parties génitales et porte sur son dos un enfant dont il saisit les petites mains. Le scénario pédophile est malsain, qui constitue un commentaire sans concession du premier, le constat inavouable de décadence caché derrière la quête métaphysique de Beauté idéale.
Gustav Von Aschenbeach est un dandy fatigué et vieillissant auquel semble s’identifier Pierson (le second tableau s’intitule My Self). Deux portraits de Judy Garland poursuivent ce jeu de miroir et de correspondances entre des vies usées par l’excès.

Le tableau intitulé More figure une gueule de requin semblable à celle, célèbre, figurant sur l’affiche des Dents de la Mer. Cette figure n’est pas sans évoquer celle, mythologique, de Saturne. La dimension nocturne apparaît également sous la forme d’une dernière sculpture faite d’un assemblage de lettres noires et or qui, par leur sophistication un peu kitsch, rappellent les enseignes de night club.

Le caractère électrique et passionné où la jouissance a souvent l’expiation pour revers rappelle l’univers de cet autre artiste américain Robert Mapplethorpe qui exposait également à la galerie cette année.

Si l’ensemble fonctionne relativement bien, construisant un réseau de significations évocateur, les pièces demeurent par trop inégales. Les dessins sur toile qui se veulent incisifs manquent d’une énergie physique réelle. Les plus faibles étant sans doute Doxologie et Vision With Wings qui synthétisent de manière trop caricaturale pour être puissante la thématique de l’ange déchu et de la descente aux Enfers.

English translation by Marion Ross

Jack Pierson
— Salvation, 2006. Métal, plastique, bois. 63,5 x 241,3 x 105 cm.
— Doxology, 2006. Encre sur toile. 195,6 x 152,4 cm.
— Vision With Wings, 2006. Encre et acrylique sur toile. 195,6 x 152,4 cm.
— Romance, 2006. Métal, néon. 124,5 x 624,8 x 20 cm.
— Nocturne, 2006. Métal, néon, plastique, bois. 68,6 x 304,8 x 20 cm.
— Near The End, 2006. Encre sur toile. 195,6 x 152,4 cm.
— The New Judy, 2006. Encre et acrylique sur toile. 195,6 x 152,4 cm.
— More, 2006. Encre et acrylique sur toile. 195,6 x 152,4 cm.
— Death In Venice, 2006. Encre sur toile. 195,6 x 152,4 cm.
— My Self, 2006. Encre sur toile. 195,6 x 152,4 cm.
— The Underground, 2006. Métal, plastique. 248,9 x 317,5 x 15 cm.

AUTRES EVENEMENTS ART