Julian Schnabel
Jack Climbed Up the Beanstalk to the Sky of Illimitableness Where Everything Went Backwards
Julian Schnabel l’a dit, il aime «entreprendre quelque chose qui soit l’antithèse de la raison». Dans cette même logique, il a depuis exploré «ce que Dieu a laissé pour compte»: la poésie ou, pour le dire autrement, les angoisses provoquées par le «vertige de la liberté». Ses peintures respirent cette liberté d’une façon qui reste aujourd’hui encore incompréhensible, inquiétante et hypnotique — «un abîme de spontanéité pure» (comme l’aurait dit Hannah Arendt).
Cette exposition nous plonge dans trente ans d’une poursuite constante, patiente, marquée par un acharnement obstiné et néanmoins serein, à atteindre ces «abîmes de spontanéité pure» — la marque de fabrique de l’artiste. L’occasion pour nous de découvrir aujourd’hui quelques perles issues de cette fascinante trajectoire — une aventure humaine et artistique en tout point.
Célèbre (tristement parfois) pour avoir réintroduit la peinture figurative au cœur de l’art contemporain de la fin des années 1970 (alors qu’aux Etats-Unis on ne jurait plus que par l’art conceptuel), Julian Schnabel était considéré comme le bad boy du milieu, pris dans des méandres allant de vagues d’adulation à expressions de mépris. Cette dernière moitié de siècle, peu d’artistes ont eu le chic pour diviser le monde de l’art comme il l’a fait.
Dans la pratique de Julian Schnabel, il n’y avait assurément rien de conceptuel ou de post-minimal. Epurée, et parfois puritaine, l’esthétique américaine des années 1960 et 70, visuellement proche de la grid [qu’on pourrait traduire en français, par une surface quadrillée], n’a jamais eu grand-chose en commun avec la sienne. L’artiste semble avoir payé le prix fort pour cette irrévérence; sa carrière publique a consisté dès lors en une série de disparitions et de résurrections.
Aujourd’hui, à Paris, c’est d’une renaissance dont il s’agit, avec la présentation d’un ensemble de douze pièces de Julian Schnabel à la Galerie Almine Rech. L’œuvre centrale de l’exposition est Virtue (1986), montrée pour la première fois lors de la Biennale du Whitney en 1987.
Grande, impressionnante, Virtue est une œuvre réalisée à partir d’une bâche décrépite d’un brun olive, rehaussée d’une bannière sur laquelle est inscrit le terme éponyme. Toute simple, en soie, avec le mot «Virtue» épelé en lettres d’or, celle-ci semble presque engloutie par l’immensité de la bâche — la préciosité et la désinvolture de la bannière établissent toutefois un contraste fort avec l’allure industrielle de la bâche étendue derrière.
Virtue est devenue une importante pierre de touche pour le peintre, qui la garda presque trois décennies loin du regard du public, dans sa collection personnelle, d’où elle ne sortit qu’à l’occasion d’une grande exposition au Mexique. Elle est présentée chez Almine Rech parmi un ensemble de douze œuvres composant une mini-rétrospective de sa carrière.
Joachim Pissarro (extrait)