Shila Khatami
It’s parallel lines that will never meet
Le titre de cette exposition est un truisme. En français on pourrait le traduire par «Les deux droites parallèles qui ne se rencontreront jamais». Il énonce une évidence, à un point tel que cela en devient absurde. La rencontre ne s’inscrit jamais dans la définition de deux parallèles. Mais Shila Khatami n’est pas intéressée par le fait de citer Euclide, plutôt par les paroles éponymes imprimées sur la pochette intérieure de l’album culte de Blondie, Parallel Lines sorti en 1979. Ironie du sort il n’y a aucune chanson avec ces paroles dans l’album – elle n’a jamais existé.
On pourrait donc commencer à regarder le travail de Shila Khatami avec une certaine idée de perte, en cherchant quelque chose qui aurait disparu. Et ce quelque chose peut être lié à l’inconsistance du support qu’elle privilégie pour ses peintures: l’Isorel, un panneau perforé communément utilisé pour ranger des outils, présenter des produits dans les magasins ou isoler phoniquement les anciens studio de musique. Néanmoins, l’enjeu n’est pas de détourner un matériau industriel en un fétiche. Contrairement aux toiles sur châssis ces panneaux ne donnent jamais de surface continue et lisse. Selon la taille des trous et la lumière, le spectateur peut percevoir le mur blanc vibrer au travers de la peinture. En d’autres termes, le monde qui les entoure s’infiltre dans les peintures, tout aussi physiquement que symboliquement. Les perforations malmènent la cohérence physique de la surface, et elles présentent un autre défi. Rangées en grilles elles forment un système d’organisation rigide, comme pour contenir, confiner et contrôler à l’avance toute fluidité de la peinture.
Mais Shila Khatami est une virtuose. Elle ne peut être contenue. Ces dernières années elle a intuitivement et énergiquement développé un large et éclectique arsenal de moyens picturaux qui s’inspirent non seulement d’une histoire moderne de la peinture mais aussi de l’observation du design de la vie quotidienne, et de l’esthétique du punk ou des graffitis. Elle a incorporé ces signes picturaux apparemment antagonistes dans son propre langage, qui va du geste pictural dramatique de nuages de peinture diluée défiant les lois de la grille, aux lignes droites tirées à la règle et au marqueur, rappelant vaguement les cours de géométrie, et suivant les points, comme dans les livres pour enfants.
En jouant avec la trame des panneaux d’Isorel, l’artiste se débarrasse du poids mythique et de l’héroïsme de ses outils, ce qui lui permet de construire des images d’une surprenante économie, des compositions toute de tension et beauté, d’organisation et de pouvoir, avec élégance et esprit. Même ses travaux plus interventionnistes, ses sculptures d’une imposante échelle révèlent son humour, prenant pour indices aussi bien les caractéristiques de l’espace d’exposition que les propriétés du matériau. Deux larges feuilles d’acier perforé disposées l’une contre l’autre, une menace entre le mur et la colonne de la galerie, produisent immanquablement des allusions aux sculptures de Richard Serra, tout en les déjouant par le biais du placement, de la perforation et les effets de moiré.
Dans ses peintures les lignes commencent dans un coin, suivent la grille, mais semblent quelque part se perdre au mauvais endroit. Exécutées rapidement, souvent de taille modeste, ses œuvres ne sont jamais très loin de l’esquisse picturale. Elles produisent un sentiment de légèreté et de simplicité qui peut parfois s’avérer décevant. Car l’aspect central de l’entreprise artistique de Shila Khatami est de développer une forme de peinture qui soit une stratégie contemporaine pour tirer du sens du monde réel, sans adhérer pour autant à de naïves approximations mimétiques ni à des simplifications formelles. Son travail prend un tour hautement poétique, sans revendiquer aucune finalité. Pas de réel, ni vrai, ni faux. Et si c’était le cas, ce serait au spectateur de discerner. Tout en gardant à l’esprit que l’artiste opère peut-être sur des lignes parallèles.