Au résultat, Issue de secours est une alchimie savante puisée dans l’expérience du corps, entre détour vers l’hôpital et humour un brin cynique, entre sensualité et beauté réfrigérée.
L’exposition fonctionne sous la forme du dialogue, l’installation de l’un venant compléter, informer, questionner les projets de l’autre. Dans la grande salle du rez-de-chaussée, Bernard Lallemand fait tourner un mannequin de vitrine sur un socle (Kamikaze) quand Delphine Duflot expose sa collection photo de nombrils (Cicatrices).
Le mannequin branché de toute part dans un circuit fermé présente ses contours lissés à la vision d’un monde autarcique face à la série de nombrils de femmes, jeunes et moins jeunes, évoquant avec tendresse à la fois l’ouverture au monde (l’origine de la vie) et le repli égoïste sur soi.
Et plus loin, à l’étage, c’est Delphine Duflot qui se montre à nu, son visage dans un téléviseur posé sur une maigre table de salon (Le Secret). On la voit petit à petit sangloter sans que l’on puisse en saisir la raison. Derrière la table, Bernard Lallemand accroche une photo sur le mur montrant un homme aux lunettes «récupératrices de larmes» (Stockage de larmes).
Le dialogue se noue dans ces interstices poétiques, un rien taquin, un rien sérieux, tandis qu’à d’autres moments, les deux protagonistes jouent l’isolement.
Un isolement qui fait écho à l’épure systématique dans laquelle s’inscrivent les pièces de l’exposition. Un isolement et sa mise en scène qui semble être la posture majeure de leur travail.
Connexions autarciques, orifices clos, appareillages évoquant tout autant l’hôpital que l’entrave carcérale: derrière le thème de l’isolement se trame une réflexion féconde sur l’autisme et l’emprisonnement physique et psychique qu’il présuppose.
C’est d’ailleurs ici que les deux intentions se rejoignent le mieux. Bernard Lallemand et son instrumentalisation érudite du corps humain; Delphine Duflot et la dilution d’une expérience professionnelle en dispositif esthétique. Ils réalisent ensemble la vidéo Issue de secours, plongée radicale à l’intérieur de l’autisme, là où chaque connexion vers l’extérieur se réalise dans un désordre à la limite de la rupture, là où, comme le montrent les séquences filmées, chaque son, chaque vision se métamorphose, s’amplifie, se démultiplie en overdose stridente et névrotique de bruits et d’images.
La vidéo dépeint une réalité fantasmée certes, mais une réalité quand même. Celle que l’on observe au contact des autistes: l’impossibilité de communiquer vers l’extérieur, l’existence en repli, en vase clos, les gestes frénétiques, les trajectoires répétitives et circulaires.
C’est ce qu’exprime la plupart des travaux du duo Duflot-Lallemand: le cycle, le cercle, le rond, la série, la permanence lancinante du malaise, du mal être, de l’inadaptation. Bref, tout ce qui vient contredire et malmener la possibilité justement d’une issue de secours.
Bernard Lallemand
— Absence, 2004. Dispositif acier, inox, tissu, cuir. 106,2 x 43,3 x 45 cm.
— Désir, 1992. Dispositif acier, inox, polyéthylène. 160 x 55 x 39 cm.
— Profil n°5, 2004. Dessin jet d’encre sur papier. 77 x 55 cm.
— Notre père, 2005. Dispositif acier, inox, tissu, caoutchouc. 305 x 62 x 56 cm.
Delphine Duflot
— Cicatrices, 2005. 40 photos contrecollées sur aluminium. 35 x 35 cm chaque.
— Le Secret, 2005. Dispositif vidéo et table. Dimensions variables.
Delphine Duflot et Bernard Lallemand
— Issue de secours, 2005. Dispositif vidéo.