Isabelle Lévénez
Chambre d’attente
Des personnages énigmatiques à l’étrange élocution occupent une pièce tapissée d’épais rideaux rouges, voilà à quoi ressemblent les rêves de l’agent Cooper dans Twin Peaks réalisé par David Lynch. Avec une récurrence, The Man from Another Place, l’homme venu d’ailleurs qui présente ainsi les lieux à Cooper: «This is the waiting room». Il prononce les lettres dans le bon ordre, mais le traitement sonore est inversé et le rythme saccadé. Cette syncope temporelle crée un espace parallèle soumis à d’autres lois, une zone suspendue, une salle d’attente.
Isabelle Lévénez confirme l’orientation qu’elle avait prise il y a deux ans: déplacer le corps — pourtant au centre de sa démarche — hors champ pour mieux définir un espace où le double, la vibration, le bug, flirtent avec une réalité fictionnelle, troublée, ralentie, rejouée. Qu’il s’agisse de photographie, de dessin, d’écriture ou de vidéo, la même scène paraît se répéter indéfiniment. On y voit une pièce vide, à peine animée par un objet ou par une ouverture; ce mouvement infime trouble pourtant en profondeur notre perception en faisant apparaître un monde entre deux mondes, un espace étendu dont l’accès serait figuré par la galerie même. Isabelle Lévénez manipule habilement les éléments physiques ou technologiques, tangibles ou supposés tels pour créer une vibration dans le flux spatio-temporel.
Voyez cette chaise, elle est dédoublée et cette superposition remet profondément en cause la réalité dans laquelle elle s’inscrit, tout comme celle depuis laquelle nous l’observons. L’écriture ouvre également d’autres perspectives quand la répétition des mots écrits à la main sur un mur permet de dépasser leur sens strict, quand les phrases inscrites sous des photographies engendrent de nouvelles lectures, grâce à la juxtaposition de l’image et du mot et au dialogue inattendu qu’elle forme.
Une chambre d’attente loin de toute inertie, dont la portée dépasse le rapport immédiat à l’œuvre.