Hasard ou nécessité, il y a actuellement au moins deux expositions prenant pour thème la chaussure et son design au fil du temps. Deux expositions richement documentées, de chaque côté du Rhin. L’une, « Step by Step », se déroule au DLM (Musée allemand du cuir), à Offenbach. L’autre, plus proche, s’apprête à ouvrir au MAD Paris (Musée des Arts Décoratifs). Et avec quelques cinq-cents pièces, l’exposition « Marche et démarche. Une histoire de la chaussure » va forcément susciter l’étonnement. En philosophie, il est souvent question de l’importance de la marche. Péripatéticien.ne.s, promeneur solitaire, politicien.ne.s en marche, flâneurs et flâneuses… Le pouvoir de l’homo erectus fascine. En danse également. Et comme 2019 marque le centenaire de Merce Cunningham, il suffira d’évoquer sa pièce Biped (1999), chorégraphiée avec le logiciel LifeForm (1989). Seulement ces mouvements : que seraient-ils sans les prothèses que sont les chaussures ?
« Marche et démarche » : le MAD explore les rapports entre corps et mode
Plongeant dans la question, le MAD expose ainsi plus de cinq-cents pièces. Beaucoup de paires de chaussures, bien sûr. Mais aussi des peintures, photographies, objets d’art, films et publicités. De quoi documenter, en somme, ce troisième tome muséal consacré, par le MAD, aux rapports entre corps et mode. Venant compléter « La Mécanique des dessous » (2013) et « Tenue correcte exigée ! » (2017), « Marche et démarche. Une histoire de la chaussure » livre un regard fouillé sur certains des enjeux du déplacement à pied. Si l’occident est familier avec la valeur de raffinement des pieds bandés dans la culture impériale chinoise, quid des petits pieds de Marie-Antoinette ? À la base de l’exposition, se trouve notamment la surprise suscitée par un soulier de la reine. En 1792, Marie-Antoinette a trente-sept ans. Les souliers qu’elle porte mesurent vingt-et-un centimètres de long, pour cinq centimètres de large.
« Marche et démarche. Une histoire de la chaussure » : entre outil et fétiche
La marche n’a pas donc pas toujours été l’enjeu principal du design des chaussures. Prothèse pour aller plus vite ou ornement voué à attirer les regards… L’exposition « Marche et démarche » explore ces questions. Scénographié par le designer et architecte Eric Benqué, le parcours proposé est notamment thématique. Il s’ouvre sur « une analyse de la façon de marcher au quotidien, de l’enfance à l’âge adulte, en Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique ». Topologie (sols rocailleux, sols boueux), matériaux (bois, cuir, démultiplication récente des plastiques pour semelles)… Tout influe sur les manières de marcher, et sur le bruit de ces marches. Dans Les Techniques du corps (1934), le sociologue Marcel Mauss interrogeait déjà , par exemple, l’influence des films hollywoodiens sur la démarche des infirmières. Un pouvoir d’imitation et d’expérimentation avec lequel jouera également l’exposition, puisque des reproductions d’exemplaires atypiques pourront être testées.
Du jetable à l’œuvre d’art : la chaussure au fil du temps, des époques, des genres
Petit chaussons de danse satinés (déformant allègrement les pieds) ; baskets et sneakers (de 1890 à aujourd’hui) ; grosses godasses militaires (telles que conçues par Alexis Godillot) ; interminables cuissardes lacées, à talons aiguilles… L’exposition « Marche et démarche » décortique cet objet banal. Car de Cendrillon à l’expression « Trouver chaussure à son pied » : le soulier jetable ne l’a pas toujours été. Hanif Kureishi en a d’ailleurs fait un film : London Kills Me (1991). Dans cette comédie urbaine, un jeune homme paumé doit se trouver une paire de chaussures potables pour pouvoir décrocher un job et sortir de la rue. Élément de distinction, la chaussure à ses fétichistes et ses variations de designers. Telles les chaussures-sabots Horseshoes (2006), d’Iris Schieferstein. Ou les chaussures Magnetic Motion (2015), d’Iris van Herpen et Jólan van der Wiel. Sans oublier l’Hommage à Calder (1999), de Benoit Méléard.
« Marche et démarche », une exposition à enfiler et talonner jusqu’au 23 février 2020, au MAD Paris.