L’intimité entre art et sciences ne date pas d’hier, comme peuvent en témoigner tous les cabinets de curiosité du XVIIe siècle. Elle date d’une époque où le monde était une énigme à décoder et la dimension opératoire du regard envisagée comme un outil de recherche. Le rapprochement hétéroclite d’objets provenant d’horizons multiples, objets d’art, de cultes ou archéologiques, avait pour projet d’autoriser des associations d’idées dynamiques. Pour comprendre les secrets du réel, pour parvenir à lire le livre de la nature, il s’agissait d’embrasser le plus largement possible l’horizon en rassemblant des fragments du monde, et de laisser opérer les frottements du regard, de procéder par juxtapositions et contagions.
Aujourd’hui, ce n’est plus véritablement le monde qui est à décoder, mais plutôt l’énigme de notre relation conflictuelle au réel, qu’une nouvelle articulation entre art et science permet d’interroger. C’est ce que deux robots prototypes, présentés par la galerie, entreprennent.
Micro.Eva et Micro.Adam sont comme deux cellules des origines qui développent une conscience de leurs propres mouvements. Tendus vers le projet de produire une énergie giratoire la plus harmonieuse possible, ils trient dans le chaos de leur agitation primaire les mouvements les plus opérationnels, jusqu’à parvenir à tourner sur eux-mêmes de façon homogène.
À observer leur fraîcheur généreuse dans ce simple projet de dynamique vitale, on se souvient de cette fiction d’un homme-machine innocent qui a toujours accompagné la communauté des hommes depuis Frankenstein jusqu’à Exterminator, entité hybride capable de racheter la haine destructrice de l’humanité. Si bien que, véritables « fictions animées », Micro.Eva et Micro.Adam fonctionnent comme un miroir réflexif qui met en regard la mission du progrès scientifique face celle de l’œuvre.
Dans le cadre de cette confrontation problématique entre art et sciences, la création contemporaine engendre le plus souvent deux types de discours. Soit, comme on le repère de temps à autre, une confusion s’installe entre l’énigme de l’art et la fascination technologique. On assiste alors à une indétermination entre la posture de l’ingénieur et celle de l’artiste, indétermination qui pose la stratégie de fabrication technologique en lieu et place de l’acte de création. Une telle assimilation interroge les missions respectives de l’art et de la science face au monde. Ont-ils l’un et l’autre les mêmes aptitudes ? Les mêmes projets ?
Par ailleurs, ce premier état de la rencontre entre art et sciences, génère un second type de discours, davantage éthique et politique, ne portant plus sur les processus de fabrication d’objets hybrides fascinants, mais sur le projet qui préside à un tel rapprochement : qu’est-ce qui, de l’œuvre, persiste dans sa nouvelle identité technologique ? Qu’est-ce qui fait œuvre dans un tel assemblage ? Répondre à ces questions demande de faire retour, non plus sur l’identité scientifique, mais bien plutôt sur les spécificités incertaines de l’art.
C’est alors que l’on touche à la dimension la plus émouvante de la relation entre art et sciences, relation qui renoue avec les premiers cabinets de curiosités. En effet, l’ingénieur comme l’artiste vivent le monde comme une zone poreuse d’articulation entre un champ de manifestations repérables, et un territoire dissimulé qui en serait la source.
Cette articulation originaire entre visible et invisible, qui fonde le dispositif du cabinet de curiosité, est la passion commune de l’art et de la science qui les lie l’un à l’autre dans une complicité essentielle. Or c’est précisément cette dimension d’articulation qu’une seconde partie de l’exposition de Julius Popp propose sous forme d’écrans métaphoriques.
Que ce soit avec Bit-Flow, ou avec Bit-Fall, Julius Popp conçoit des dispositifs technologiques qui mettent en scène les ambivalences d’un écran-support capable d’articuler une figure à sa source hors-cadre. Avec Bit-Flow, un tube transparent entremêlé révèle l’écran comme une surface d’apparition strictement conditionnée par ce qui se trame dans la profondeur invisible de son réseau tubulaire. Telle une matrice exposée, le nœud de tuyaux fait la démonstration des fluidités qui construisent l’image depuis les coulisses technologiques. Dans le même esprit, Bit-Fall transforme une chute d’eau en écran liquide en traitant chaque goutte comme un pixel qui tombe. Fragile et éphémère, l’image affirme ici toute sa dépendance avec une intelligence hors-cadre, une conception première, une source numérique invisible.
Depuis les deux robots prototypes jusqu’aux dispositifs écrans, les recherches de Julius Popp construisent le territoire complexe d’une réflexion qui se tient entre fascination technologique et l’originaire négociation du visible avec l’invisible.
Julius Popp
— Micro.Eva et Micro.Adam, 2002. Aluminium, acier inoxydable, éléments électroniques. 40 cm.
— Bit-flow # 1-4, 2005. Lambda print sur papier photo, aluminium. 40 x 75 cm.
— Micro.sphere, 2002-2005. Prototype pour un projet de 10 sphères en carbone.
— Bit-fall, 2002-2004. 64 valves, aluminium, acier inoxydable, éléments électroniques, éléments informatiques, ordinateur. 40 x 75 cm.
— bit-fall, 2004. Lambda print sur papier photo, aluminium. 100 x 130 cm.