Ida Applebroog
Intime
Des femmes, des hommes, des enfants, anonymes et pourtant familiers. Des femmes, des hommes, des enfants, tel est, en apparence, le sujet d’Ida Applebroog, le sujet d’une peintre américaine, le sujet d’une femme artiste.
Née à New York en 1929, Ida Horowitz dut attendre la quarantaine pour commencer à exposer sous le nom choisi d’Ida Applebroog. Diplômée en arts appliqués dès 1950, le graphisme et l’illustration furent sa seule activité jusqu’à ce qu’elle décide d’intégrer l’école d’art de l’Institute of Chicago au milieu des années 1960.
Installée ensuite à San Diego, où, toujours sous son nom de naissance, elle enseigne à l’université de Californie, elle développe ses premières formes — de grandes sculptures souples dans la lignée de celles d’Eva Hesse — qu’elle abandonne peu après.
A New York, où elle est de retour en 1974, ses dessins et livrets autoproduits popularisent son art au sein d’un réseau alternatif. Sa rencontre avec le galeriste
Ronald Feldman, à la fin de la décennie, sera déterminante. Ida, désormais Applebroog, accède à une reconnaissance institutionnelle; ses expositions ne cesseront de se multiplier.
L’activisme qui caractérise les États-Unis des années 1970 est aussi celui d’Ida Applebroog. Cette dernière s’implique dans des activités proches du mouvement féministe et, sa carrière durant, restera toujours concernée par le statut des femmes. Elle relativise: «Je suis une femme artiste avec des liens féministes» (Ida Applebroog 1976-2002, Are you bleeding yet?, New York, La Maison Red, 2002, p. 122.), car ses intérêts plastiques sont surtout de tendance humaniste. D’un humanisme cru, quotidien et sans jugement moral.
Dans ses peintures, sur toile ou sur papier Gampi (papier de riz japonais très épais), et ses dessins à l’encre, un épais cerne foncé dessine des personnages inexpressifs. Dans des tons sourds et naturels — rouges, bruns, noirs, ocres, plus tardivement verts ou bleus —, ils coexistent en des échelles différentes sur un même support ou sur des panneaux distincts. Ils s’imposent en premier et gros plan, et, réduits, occupent en marge des vignettes parfois accompagnées de légendes énigmatiques.
Ces saynètes confèrent aux œuvres un potentiel narratif ambigu. Nous sommes mis en présence de fragments d’histoires elliptiques. «You walk into the middle of something» («Vous marchez au milieu de quelque chose», in Ida Applebroog 1976-2002 […], op. cit., p. 280). L’artiste, puisant ses images dans les médias, s’appropriant des clichés célèbres, recyclant contes, mythologie ou simplement le contenu informatif de journaux ou magazines, aborde sans ambages la naissance, le sexe, la mort. L’isolement et l’aliénation, mais aussi, le racisme, le sexisme et la violence sont devenus ses thèmes récurrents. Ils affleurent dans l’évocation dramatisée d’un ordinaire domestique qui, derrière fenêtres ou rideaux, bascule dans une étrangeté anxieuse.
Témoin de son temps, Ida Applebroog révèle un peu de l’intimité de vies anonymes, et, de la sorte, nous impose un rôle de voyeur, celui de nos vies intérieures.
Ingrid Jurzak
Dans le cadre de cette exposition, le Mac/Val publie J’m Ida Applebroog, dans la collection «Chroniques muséales».
Vernissage
Vendredi 14 février 2014