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Intergalactic Palestine

L’homme a marché sur la Lune; et ce moment charnière marque un tournant dans la conquête des territoires. Territoires, le mot est lancé. Space Exodus, vidéo de Larissa Sansour, revisite cet instant sacré en s’inspirant de 2001, l’Odyssée de l’espace. A ceci près que l’homme est une femme (Larissa Sansour en l’occurrence) et que le drapeau fiché dans le sol lunaire est celui de la Palestine.

Space Exodus, est-ce l’exil nécessaire à ceux dont on vole les terres et dont on ne veut pas? Ou est-ce une réponse poétique à la blague raciste affichée par Larissa Sansour sur un mur: «Qu’est-ce qu’un arabe sur la Lune? Un problème. Qu’est-ce que dix arabes sur la Lune? Un plus gros problème […]. Qu’est-ce qu’un million d’arabes sur la Lune? Un problème massif. Qu’est-ce que tous les arabes sur la Lune ? Problème résolu !»?
Quoi qu’il en soit, la lenteur chorégraphique des gestes en apesanteur confère à la revendication une douceur plus proche du pacifisme que de la revendication agressive.

En effet, la lutte de Larissa Sansour est résolument non-violente. Nous accueillent ainsi dans la galerie des «palestinautes», petites sculptures d’une trentaine de centimètres de haut, ressemblant à des jouets. Bouilles neutres et rondeurs avenantes grâce aux tenues spatiales, orientées en tous sens l’air de chercher leur chemin, les figurines semblent bien inoffensives et n’ont rien de velléitaire.

Plus qu’un pamphlet contre l’occupation israélienne ou le passéisme de la communauté internationale, les œuvres de Larissa Sansour pointent avec une ironie mordante les murs virtuels, ceux que dressent les clichés. En un curieux syncrétisme (remémorons-nous la musique de Space Exodus directement inspirée de 2001, l’Odyssée de l’espace qui se mue doucement en mélopée orientalisante), les quelques vidéos présentées, toujours grinçantes, mêlent intimement références à la culture occidentale et images du monde palestinien.

Happy Days dévoile la réalité des populations occupées (contrôle aux check-points, troupes de militaires patrouillant, etc.) sur la musique entêtante du générique de la fameuse série télévisée éponyme.

À côté de ce docu-fiction, il y a Sbara, court-métrage réécrivant une scène culte du Shining kubrickien. Différence notoire: plutôt que d’écrire «Redrum» (le mot «murder» à l’envers), le petit garçon trace en lettres de sang «Sbara». Image confirmant cette phobie envers les arabes, une femme en niqab surgit alors d’une baignoire, menaçante. Run Lara Run campe une Larissa Sansour parcourant à perdre haleine les territoires de Palestine. Il y a tout le désespoir d’un Forrest Gump dans cette course mais il y a peut-être aussi la rage d’une Cours, Lola, cours.

Dans les historiettes multi-référentielles de Larissa Sansour, les images sont ouvertes. À l’instar de Bethlehem Bandolero, vidéo de quelques minutes singeant un western spaghetti où un cow-boy (Larissa Sansour, dans une récurrente mise en scène du soi) se rend jusqu’au mur de Bethlehem, celui érigé par les autorités israéliennes, qui encercle la ville. Les images se dédoublent, s’interpénètrent, tels les aléas d’un kaléidoscope. La réalité de la ville occupée devient alors moins irrévocable, comme si les images kaléidoscopiques laissaient l’horizon s’ouvrir.

Que signifie cette couche fictionnelle, ces références occidentales abondantes ? Est-ce un filtre culturel à destination d’un public européen et américain ? Pour rassurer, ne pas apeurer, à l’instar des premiers clips de la Motown dans lesquels on mettait en scène des enfants et non pas des adultes noirs pour ne pas effrayer le public blanc ?

Parfois, ce filtre disparaît totalement. Land Confiscation Order 06/24/T, par exemple, est un court documentaire retraçant une performance de Larissa Sansour. L’artiste endeuille une maison, la ceignant d’un immense voile noir pour signifier la confiscation par l’armée israélienne des terres sur lesquelles elle se trouve. Ici, elle délaisse les farces fictionnelles pour rejoindre l’activisme.

Chez Larissa Sansour, le réel se fictionnalise (Happy Days) et la fiction s’incarne (Run Lara Run). Avec The Novel of Nonel and Vovel, livre créé en collaboration avec l’artiste israélien Oreet Ashery et présenté à la Tate Modern en 2009, l’artiste palestinienne se lance dans la métafiction quelque peu amère.
Deux super-héros traversent la Palestine et ses absurdités. «There’s something about watching everything from a distance that reminds me of being an artist », constate une Larissa Sansour encapée, volant telle une super-héroïne, consciente d’évoluer dans un espace factice, tout en le considérant plus important que la réalité. Une échappatoire ?

Pour tordre le cou aux préjugés, il est donc fort conseillé de pénétrer la B.AN.K. Galerie, sans être rebuté par les vitres noires de la galerie qui dissimulent la question taboue du conflit israélo-palestinien…

— Larissa Sansour, Space Exodus, 2009. Vidéo, 5’24’’
— Larissa Sansour, Space Earth, 2009. Tirage lambda. 45 x 80 cm
— Larissa Sansour, Space Flag, 2009. Tirage lambda, 45×80 cm
— Larissa Sansour, Space Floating, 2009. Tirage lambda. 45 x 80 cm
— Larissa Sansour, Space Shoe, 2009. Tirage lambda. 45 x 80 cm
— Larissa Sansour, The Novel of Nonel and Vovel, 2010. 5 sérigraphies, encre sur papier. 70 x 100 cm
— Larissa Sansour, The Novel of Nonel and Vovel, 2010. 5 sérigraphies, encre sur papier. 20 x 30 cm
— Larissa Sansour, Nonel and Vovel’s Inferno, 2010. Triptyque, tirage lambda. 350 x 150 cm
— Larissa Sansour, 200 Palestinauts, 2009. Plastique. 30 x 27 x 15 cm
— Larissa Sansour, Bethlehem Bandolero, 2005. Vidéo, 5’35’’
— Larissa Sansour, Soup over Bethlehem, 2006, vidéo, 9’30’’
— Larissa Sansour, Happy Days, 2006. Vidéo, 3’
— Larissa Sansour, Run Lara Run, 2006. Vidéo, 2’27’’
— Larissa Sansour, Sbara, 2006. Vidéo, 8’35’’
— Larissa Sansour, Land Confiscation Order 06/24/T, 2006. Vidéo, 10’45’’

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