Insolites de Denis Pouppeville, Abraham Hadad, Haude Bernabé et Joanna Flatau
La Galerie Claire Corcia présente l’exposition « Insolites » rassemblant les oeuvres d’un sculpteur, Haude Bernabé, et trois peintres, Abraham Hadad, Denis Pouppeville et Joanna Flatau.
Denis Pouppeville ou Les Mystères d’un humaniste
Dans son univers règnent la dérision et la tendresse : il porte un regard sarcastique et altruiste sur le théâtre de la vie. Il fait surgir un monde traversé de lueurs crépusculaires où rôdent d’énigmatiques personnages portant gibus et galuron. Au moyen d’une technique éblouissante, il travaille la toile ou le papier. Son style est intemporel et s’inscrit dans la filiation des grands maîtres : de Rembrandt à Daumier, de Rouault à Ensor. Il s’est senti transpercé par cet art là et le revendique dans son oeuvre.
Son univers imaginaire est étrange, imprégné d’une atmosphère inquiétante. Le grotesque et la jubilation dominent. L’artiste estime que « le grotesque nous sort de la réalité pesante. La mise en scène m’enchante et la jubilation est essentielle, même si j’aime bien que le tragique apparaisse ».
Denis Pouppeville est à la fois peintre, dessinateur et graveur. Il met en scène une humanité baignée de clair-obscur, tout à la fois attendrissante, drôle et pitoyable. Ses personnages, solitaires ou en cortège, sont à la fois fantastiques et familiers, drôles et effrayants. Ils envahissent l’espace où les techniques fusent en un heureux mélange d’huile, gouache, encre de Chine, mine de plomb et parfois même gravure. Généreux et discret, l’artiste modeste s’étonne devant la beauté de ses œuvres.
La Galerie Claire Corcia présente ses toutes dernières créations d’inspiration carnavalesque : la couleur y surgit, l’on y respire mieux. « En ce moment, je monte la couleur » explique-t-il. Un rouge sang, un bleu outremer viennent relever les teintes sourdes tant aimées, variant du gris au noir, enveloppant les figures et leur conférant cette atmosphère crépusculaire si caractéristique, entre « chien et loup », néanmoins plus aérées et lisibles qu’auparavant.
La Fondation Rustin lui consacre d’ailleurs une grande exposition rétrospective dans les mois à venir.
Abraham Hadad
Le dérapage de son pinceau sur la toile vient de sa patience ou, au contraire, d’une hâte d’exprimer ses pensées et sentiments. Il maîtrise les techniques de la peinture. Il a une vision claire des enjeux du travail de l’art et des effets qu’il peut obtenir.
La richesse de son imagination, ses obsessions et la façon dont il en joue dévoilent un monde de fantasmes intenses dont l’artiste s’inspire.
Son univers se peuple de monstres qui traversent en coup de vent ses images. Ses oeuvres réunissent des figures humaines, imaginaires et animales.
Ses peintures sont granuleuses, vibrantes, ponctuées des grattages irréguliers de la plume chargée d’encre. Il joue sur les oppositions qui déforment les apparences des corps et des choses, des droites anguleuses et des lignes incurvées.
Joanna Flatau et Haude Bernabé
Xavier Bureau à propos de l’exposition « Ensorcelées » réunissant Joanna Flatau et Haude Bernabé à la Galerie Claire Corcia :
« Sous le titre « Ensorcelées », la Galerie Claire Corcia a eu la bonne idée de réunir deux artistes, non sans affinités dans leur démarche profonde, une femme peintre et une femme sculpteur.
Depuis Henri Michaux, ce maître du langage inventif, auteur d’une œuvre graphique étonnante, prenant en considération les taches et formes larvaires sorties des vagabondages de la plume et du pinceau, s’est développée ce qu’on pourrait appeler une esthétique du surgissement. On sait mieux à présent à quel point l’Inconscient, sollicité, peut accoucher de formes lisibles et parlantes, riches de sens, tout comme les rêves nocturnes.
Surgi des profondeurs : ce sont ces mots qui viennent à l’esprit pour dire le sentiment qui domine face aux œuvres respectives de Joanna Flatau et Haude Bernabé.
A quel mouvement, à quelle mode apparenter le graphisme si caractéristique de Joanna Flatau ? A aucun. Joanna Flatau suit son instinct. Il l’entraîne dans des régions fantasques qui n’appartiennent qu’à elle, même si elles doivent sans doute un peu à l’imaginaire de sa Pologne natale. La plume, le fusain, le pinceau font surgir tout un peuple qui fixe le spectateur de ses regards étonnés, rêveurs, souvent souriants, souvent anxieux.
Sa démarche relève d’une sorte d’expressionnisme spontané, originel, hors école, qui exacerbe formes et couleurs sans système apparent. Le trait rejette l’effet, la trop grande assurance, le lissé, le prévisible, tout ce qui peut ressembler à une maîtrise installée. C’est justement ce qu’il a su garder de tremblement et d’improvisation qui capte magiquement la vibration du personnage, sa chaleur humaine, la vérité du sentiment qu’il inspire.
La force de Joanna Flatau réside dans la souveraineté de l’instinct et du flair auxquels elle abandonne sa main, préférée à la loi trop confortable d’un savoir-faire de bon ton, avec ses présupposés, qui bride l’imagination et dicte un discours attendu. Se lancer, sans autre préparation qu’un inconditionnel amour du dessin et une sorte d’intelligence du cœur, dans l’imprévu et la trouvaille, c’est en prenant ce risque, vital et délicieux, c’est à ce prix qu’on atteint à l’authenticité savoureuse qui caractérise la moindre de ses productions.
Quelques portraits d’hommes ou couples d’amoureux mis à part, les femmes sont prépondérantes, « ensorcelées » oblige. « Grandes rieuses » aux dents blanches, femmes aux yeux bleus ou ingénument nues (en proie à une crise d’érotisme enfantin), la femme apparaît sous l’aspect d’un être fantasque, gai, étonné, ravi, manifestement plus ouvert à la diversité des sollicitations de la vie que son triste comparse, l’homme, toujours programmé comme un ordinateur et habillé de gris.
A ses débuts, qu’elle qualifie elle-même de naïfs, Haude Bernabé, sculpteur de métal, construit des sculptures de formes totémiques, corps simplifiés, membres filiformes, postures hiératiques, têtes davantage travaillées avec de grands yeux ronds qui mettent déjà en valeur des contrastes de textures : bois cerclé de métal, intégration d’éléments d’instruments aratoires, assemblage de tôles découpées, développant dans le solide la liberté dont d’autres se contenteraient avec le papier plié.
Pourquoi le métal plutôt que la terre tellement plus ductile ? « Parce que j’aime travailler avec quelque chose qui résiste » répond Haude Bernabé. La résistance vaincue, le matériau dompté, un début de maîtrise acquise par l’effort, voilà le bain dans lequel se révèle la vraie nature d’un artiste. Où serait le plaisir et la valeur d’une œuvre obtenue sans effort ?
Ce goût de façonner, de chantourner, de transformer, de maîtriser un matériau rebelle, souvent rebuts récupérés chez le ferrailleur, par le chalumeau, le poste à souder, par la magie antique du feu pour obtenir cet objet définitif (quasi indestructible), pourtant aussi singulier et personnel qu’un croquis surgi de l’Inconscient d’un poète en proie à la rêverie, fait mûrir l’exigence de l’artiste. Elle gagne en expression, allant vers davantage de liberté et de lyrisme.
Ses personnages sont plus ramassés, plus denses, plus complexes, plus souples. Ils ont des attitudes, expriment des sentiments, symbolisent des émotions. Parallèlement va croissante la richesse des contrastes de surface, rouilles, patines, rugosités, pigments colorés (blancs, jaunes, rouges) obtenus par procédés à chaud (où entrent huile de lin, neige carbonique, vernis mats), « chiffonnades » métalliques, formes tourmentées qu’elle enrôle dans son projet, dont elle apprend à utiliser les hasards, qu’elle sait mettre au service du côté intuitif et vagabond de son inspiration.
« La vie est encore plus riche que l’art » déclare Haude Bernabé. Déclaration d’un étonnant optimisme qu’on a le droit de préférer à l’idée d’Oscar Wilde qui prétendait que la vie imite l’art, et qui éclaire l’aspect confession intime que l’artiste voit dans sa création, même s’il n’est pas immédiatement détectable. Bonheurs et déceptions, joies et crises, tout nourrit son inspiration.
« La sculpture, je la fais pour les autres. Je suis trop pudique pour m’adresser à eux par des mots ». Récemment est apparu le thème des groupes, petites foules, grappes humaines, êtres solidaires, complémentaires, embarqués ensemble dans l’aventure de l’existence, image par excellence des richesses de la vie. Il y a du bouillonnement dans ce besoin créatif, un besoin qui passe par l’Inconscient, comme dans les fonds marins, la lave incandescente sculptée sans délai par les eaux profondes dans lesquelles elle surgit. Mystère des origines de la création, présence de l’œuvre qui fait surface. « Ensorcelées » dit l’exposition. Les femmes ne sont-elles pas mi-anges, mi-démons ? ajoute Haude Bernabé avec un grand sourire.