Les couleurs sont vives et contrastées, éclairs de vie dans la nuit grise de Pékin. Des travailleurs en «bleu» et «rouge» de travail prennent leur pose et discutent sur la terrasse de leur logement collectif, entourés de barres illuminées d’où l’on devine, par les étroites fenêtres, la vie nocturne des foyers pékinois.
Une femme nue domine la ville de la baie vitrée de son appartement, fantôme prenant part à la lumière des immeubles de bureaux. Les couleurs irréelles des néons et les lignes cassantes de la perspective sont adoucies par les formes douces et rondes de son corps.
Un gardien de sécurité veille sur la ville depuis une terrasse. Un halo de lumière jaune, au loin, répond aux immeubles inondés d’un rouge communiste. Il semble transpercé par les lumières des appartements qu’il regarde. Les couleurs ternes, fades, froides, de la terrasse, répondent aux fluorescences de la ville.
Des strip-teaseuses enroulent leurs corps autour de barres métalliques dans une salle isolée à l’intérieur d’un immeuble de bureaux. L’air paraît brumeux, empli de volutes polluées donnant au ciel une couleur apocalyptique. Les arcs de la façade de ce bâtiment contrastent avec la géométrie des barres environnantes.
Il y aussi le portrait d’une jeune femme spectre quadrillée par son décor. Elle semble inscrite dans des pyramides urbaines étoilées de rouge qui l’englobent, elle, et le chat qu’elle tient serré contre sa poitrine. Le sol écaillé, ébréché, témoigne de la vétusté et de la saleté de ces immeubles construits à la va-vite.
Des couleurs magnifiques éclairent la nuit : bleu électrique, vert amande, rouge brique, noir profond. Ces photos semblent construites comme des exercices de géométrie où lignes transversales, carrés et diagonales, couloirs phosphorescents s’entremêlent. Les autoroutes brillent comme des coulées de lave dans la nuit noire d’encre.
La photographe réussit à décrire la modernité de cette ville en pleine mutation, gigantesque et terrible mais aussi poétique grâce à un travail graphique très élaboré. Les êtres humains sont noyés dans ce gigantisme mais leurs visages inquiets et lumineux font surgir la vie de cette architecture impersonnelle.
Publication
Floriane de Lassée, Inside Views, Ed. Nazraeli, 2008.