Inner Beauty pourrait être la formule louant une beauté supérieure, paulinienne et spirituelle ou l’argument publicitaire pour vanter les mérites nutritionnels d’une quelconque denrée ; pour Gudrùn Lilja, designer islandaise, régulièrement autorisée au sein de l’atelier de Rotterdam Jurgen Bey, la beauté intérieure se révèle être un mode de conception tout entier exprimé dans un mobilier habité de subtilités naturalistes.
La ToolsGalerie accueille ainsi dans son espace recouvert pour l’occasion d’une moquette vert gazon, une petite dizaine de pièces ravissantes, dont la plupart déploie leur forme dans des matériaux ancestraux car naturels : un tabouret en lave, un autre en contreplaqué, un cabinet de curiosité en bouleau sibérien affichent une pureté primitive qui a la beauté de l’essentiel. En effet, l’islandaise réquisitionne les matières premières qui lui sont familières et transforme le meuble en un paysage de textures. Les légères harmonies du polycarbonate et de l’aluminium jouent quelques fois sur le contreplaqué de ces monumentales assises un rythme régulier et familier.
L’objet devient poésie et description. S’y cachent des motifs floraux, dentelés finement, qui semblent comme surgir d’un monde de rêve. La cohérence de l’ensemble frappe en effet par l’unité poétique, végétale et féminine du vocabulaire plastique. La frontière entre le monde imaginé, intérieur et celui, réel, du spectateur se veut poreuse. Pour mutines que soient les créations, elles s’appuient néanmoins sur des modalités plus complexes et intelligibles : on observe rapidement que l’objet fonctionnel est étiré en deux dimensions comme se déploie le plan unique de l’assise ou de la table. Cette solution constructive rappelle alors le design scandinave et le Fauteuil 41 en bouleau lamellé courbé et contre-plaqué laqué, dessiné par Alvar Aalto en 1931. L’ornement lyrique, quant à lui, s’exprime avec plus de sculpturalité grâce au recours à la technique du relief découpé. Aussi, les objets sont-ils limpides. Les créations microcosmiques de Gudrùn Lilja, habitées d’un ailleurs nous apprennent à habiter.
En outre, Gudrùn Lilja fait montre d’une révérence écologique en assurant un traitement respectueux des matériaux. Par souci d’authenticité, conforme à la beauté intérieure, elle a recours à la technique de la découpe au jet d’eau et limite la préparation du bois à la seule couche d’huile pour le Curiosity Cabinet. Cette simplicité du traitement est compensée en conséquence par une technicité avancée de la réalisation qui ne saurait perturber le calme des compositions. Ce luxe — accessible en édition limitée produite par la galerie — réside peut-être en une tranquillité et un apaisement offerts à l’œil et au corps.
Enfin, ce voyage prend des tours éthiques et politiques. En effet, deux pièces, un peu à part de la série présentée à la ToolsGalerie, ont été conçues dans un but humanitaire : à l’occasion d’un Workshop au Kosovo, Gudrùn Lilja entreprend de redonner vie à des meubles dégradés et tricote alors un cannage de laine à des dépouilles de chaises du parlement islandais. On nous assure que ces pièces sont fonctionnelles mais nous n’y verrons rien de plus que la réconciliation éthique et poétique des deux mondes, extérieurs et intérieurs, rien de mieux que l’enveloppe de la violence de la réalité d’une chaleur toute matricielle.Â
— Gudrùn Lilja/Studiobility, Visual inner structure, 2004. Pièces uniques / Série limitée de 20 exemplaires. Bois, laine et resorts métalliques. Dimensions variables.
— Gudrùn Lilja/Studiobility , Lava Flower, 2007. Edition limitée ToolsGalerie : 8 exemplaires + 2 EA + 1 prototype. Lave découpée au jet d’eau. 40 x 40 x 40 cm
— Gudrùn Lilja/Studiobility, Curiosity Cabinet, 2008. Edition limitée ToolsGalerie : 3 exemplaires + 1 EA. Bouleau sibérien huilé, intérieur verre, chrome et métal. 185 x 110 x 58 cm
— Gudrùn Lilja/Studiobility, Rocking Beauty, 2006. Edition limitée ToolsGalerie : 10 exemplaires + 1 EA. Polycarbonate, contreplaqué et aluminium, découpe au jet d’eau. 105 x 76 x 60 cm
Â
Â