La beauté, c’est comme le goût, cela ne se discute pas, pensent certains. Au contraire, prétendent les autres, dont ce site, entièrement voué à la question esthétique. Pour ce qui est du goût, Boyzie Cekwana n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat et ses baskets rouges avec. Quant aux soins cosmétiques, le jeune homme n’y va pas avec le manche de ses pinceaux pour se donner un total méchant look…
Il arrive que le parano, comme tout un chacun, ait aussi raison. La posture paranoïaque d’Othello, intenable dans la vie courante – variante « double bind » de l’état pathologique d’angoisse communément appelé jalousie –, sert de déclic à la pièce I Wanna Be Wanna Be, qui se présente comme un arty show post-postmoderne, exhibant fièrement ses pauvres moyens du bord (quelques cartels et cartons de récupération faisant parfaitement l’affaire et leur office dramatique, à la manière des écriteaux préconisés par Alfred Jarry) et un anti-spectacle – le message de contestation politique s’appuie sur la mise en cause des conventions théâtrales.
L’envie d’être ou d’avoir la même chose que l’autre – le blanc – n’est peut-être pas le problème d’Othello mais il a été et est toujours celui de la jeunesse de Soweto. La danse engagée (comme le cinéma et le théâtre du même nom) existe en Europe depuis au moins les années trente, depuis Jean Veidt et Kurt Jooss et fait mouvement de nos jours chez les chorégraphes africains formés (sans s’y conformer) au contemporain. Boyzie Cekwana s’inscrit dans ce combat, constatant la régression sociale, le retour sur des droits civiques que les non paranos pensaient définitivement acquis. C’est pourquoi sa pièce se réfère à l’une des lois de l’apartheid, abolie après 1994, celle dite des « Influx controls » appliquée aux Sud-africains de couleur – de ce que nous appelons depuis la Révolution française la liberté d’aller et venir, l’un des droits de l’homme fondamentaux.
« Black is beautiful », chantait fièrement James Brown − dont on entend l’intemporelle musique répétitive The Payback (1973) − et proclamaient les militants afro-américains et sud-africains – le martyr Steve Biko, par exemple. Cette beauté noire a fasciné l’Europe depuis le cubisme, plus que l’Amérique ségrégationniste qui pratiquait avec ambiguïté le travestissement du «blackface», par lequel les blancs se grimaient en noirs pour les moquer dans les minstrels shows et les vaudevilles − cf. Bamboozled (2000) de Spike Lee.
Et c’est par une séance de ce type de maquillage que Cekwana débute son show. En un silence uniquement rythmé par les fondus lumineux signés du maestro Eric Wurtz, prenant tout son temps, commençant par la ligne des paupières comme les pros − cf. la série de clips formidables du site « Beauté Blog » consultables sur Youtube −, recouvrant le sommet du crâne puis le reste du visage d’une teinture noire, le jeune homme est vêtu d’un pantalon et curieusement accoutré non pas d’une ceinture de bananes mais de… bâtons de dynamite. Pour donner du brillant et du relief au maquillage, il se tamponne la peau de poudre de riz claire, à l’aide d’une houppette, et se retrouve la gueule enfarinée. Il ressemble alors à un redoutable guerrier ashanti, travesti comme ceux qu’on peut voir dans des danses du sabre filmées par Louis Lumière en 1897.
Il semblerait qu’ils n’aient pas réglé leur rapport au tutu, en Afrique du Sud. Robyn Orlin a sonné la première l’heure de la révolte, comme on a pu récemment le constater à La Villette. Boyzie Cekwana fait, quant à lui, chanter son hymne révolutionnaire par une chorale embusquée dans la belle salle de théâtre audonienne en partie dédiée à la danse, qui porte (est-ce vraiment un hasard ?) le nom d’Espace 1789.
Dans une tenue carnavalesque au goût douteux associant les gants blancs de Mickey Mouse à la veste grise d’un salary man moyen et aux baskets d’un Cassius Clay s’exerçant à sauter à la corde pour changer d’identité (= devenir Muhammad Ali), face au comédien qui tend ostensiblement et impassiblement divers cartons indiquant, entre autres, les changements de rounds, le danseur baisse littéralement sa culotte et enfile un tutu d’où pendouillent des étiquettes portant encore des inscriptions illisibles − trop de slogans finissent de toute façon par tuer tout slogan. Nous avons alors l’incarnation de ce que Sally Banes appelleTerpsichore en baskets !
– Conception, chorégraphie, interprétation: Boyzie Cekwana
– Dramaturgie: Guillaume Bernardi
– Musique: The Payback de James Brown, avec la participation d’un chœur local
– Lumière: Eric Wurtz
– Accessoires, costumes: Lungile Cekwanabb