Ses pièces provoquent, mettent mal à l’aise, suscitent des débats et passions ! Boyzie Cekwana avait déjà été invité aux Rencontres chorégraphiques en 2005 avec Cut !! Depuis, ses propositions n’ont rien perdu de leur tranchant. Il travaille sur une trilogie, Influx Controls, consacrée à la fabrique et au contrôle de l’identité. A l’origine de ce projet, une loi de l’apartheid visant à maîtriser les flux de population et à fixer des frontières arbitraires entre noirs et blancs, et les traces indélébiles qu’un tel acte politique inscrit dans les consciences et à même les corps. L’édition 2010 des Rencontres chorégraphiques accueille les deux volets existants de cette œuvre.
Fidèle à l’ambition de soutenir en premier lieu la création, Anita Mathieu programme en ouverture du festival le volet plus récent, On the 12th Night of Never, I Will Not Be Held Black. La force de frappe de cette pièce marque les esprits: on peut aimer ou détester, mais l’on ne saurait rester indifférent. Nous sommes plongés dans un spectacle – un show – une performance de type anglo-saxon. L’artiste, complètement déchaîné, fou, tout en dépense et en exubérance, déclenche un tourbillon de situations rocambolesques et fantasmagoriques.
Tout d’abord, une séquence de passe-passe avec le public installé aux abords du plateau pour l’intéresser aux réalités sud-africaines à la veille de la coupe du monde de football. Cette référence à une actualité largement médiatisée sera la seule de l’ordre de l’attendu. Bientôt un dérèglement des échelles gagne l’espace: une mariée obèse, qui cherche un époux blanc européen, entre en scène − spectacle dérangeant d’une corpulence excessive. Son compagnon parsème le plateau de petites silhouettes en carton, les «petites gens», qu’il s’obstine à redresser chaque fois qu’ils se font piétiner, avant de s’enfermer dans l’immobilité, imperturbable dans son costard rose. Il se trouve que la mariée a une voix de soprano, attaque des airs classiques avec la même légèreté que ces tubes de la pop la plus commerciale. Transformée en Miss Slim, elle arpente le plateau et les gradins avec une énergie terrifiante. Le délire de cette «Soweto party» s’achève dans des chants de Noël.
Nous sommes confrontés à des images marquantes, des séquences d’un mordant terrible − le township dans toute sa splendeur : hilarant et pathétique. Boyzie Cekwana électrise l’atmosphère, en maître des cérémonies de ce cynique amalgame.
Puis il se dévoile, lève les masques. Suspendu à une balançoire, autant dire suspendu dans cette 12th Night of Never, il chante, il implore, il invoque cette heure, ardemment attendue où les catégorisations réductrices et arbitraires seraient abolies. Sa prière va vers ce dieu importé par ceux qui ont aussi imposé le colonialisme et l’apartheid. Il égrène des mots qui tombent juste, nommant des réalités assourdissantes. Une véritable mise à nu. Boyzie Cekwana donne voix aux raisons les plus intimes qui le poussent à se positionner en tant que personne et artiste. Et pour que ce moment s’inscrive pleinement dans son esthétique marquée par le choc des contrastes, il l’accompagne d’une mise à nu physique: il ôte ses collants verts et reste en string en cuir, le torse ligoté par des guirlandes clignotantes de sapin de Noël. La pièce va d’un train-train furieux, irrépressible. Le public expérimente un peu de la violence des influences imposées que ces corps ont eu à subir pendant l’apartheid.
Ces moments résonnent de manière subtile et féconde dans I Wanna Be Wanna Be, premier volet de la trilogie Influx Controls, pièce beaucoup plus sobre, dans la retenue, en dépit d’un attirail tout aussi provocateur, explosif au sens propre du terme. Le corset qui accompagne tutu de ballerine qu’il porte est une ceinture de dynamite! Une ferveur œcuménique gagne à un moment donné la salle qui s’anime de chants montant des gradins en réponse au monologue posé de l’artiste, en écho aux chuchotements étouffés de son accompagnateur. Heureuse initiative, Boyzie passe à l’acte, au-delà de la représentation, invite pour sa pièce des membres d’une chorale locale, des citoyens de Saint Ouen, qui portent et renforcent le propos de la pièce par des chants en langue africaine!
On the 12th Night of Never, I Will Not Be Held Black.
– Conception, chorégraphie: Boyzie Cekwana
– Interprétation: Pinkie Mtshali (chant), Boyzie Cekwana (danse)
– Musique: Jacques Poulin-Denis
– Lumière: Eric Wurtz
– Accessoires, costumes: Lungile Cekwana
I Wanna Be I Wanna Be
– Conception, chorégraphie, interprétation: Boyzie Cekwana
– Dramaturgie: Guillaume Bernardi
– Musique: The Payback de James Brown, avec la participation d’un chœur local
– Lumière: Eric Wurtz
– Accessoires, costumes: Lungile Cekwana