Juliette Savaëte
Infinitude
Juliette Savaëte travaille sur l’infinie exploration ainsi que sur la prolifération extrême d’un système coloré. Une forme: le point est mis à l’épreuve. Système qu’elle remet en cause constamment puisque à chaque endroit de la toile, un monde nouveau surgit. À mesure du temps qui passe, elle ponctue l’espace de formes spiralées, comme un mouvement qui s’enroule sur lui-même et avance peu à peu. Nombreux comme la répétition d’un même qui n’est jamais tout à fait identique. Travail mental pour aller au «bout du bout» de la toile. Multiplier les détours pour revenir à la forme et à la répétition.
Après des études à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris dans l’atelier de Claude Viallat, elle est entrée dans une logique de désapprentissage. Non pas logique de l’ignorance ou de la table rase mais la déconstruction de la peinture au moyen du savoir théorique et pratique qui lui a permis jusque-là de la construire. «La déconstruction n’est pas une mise à mort mais un processus critique analytique fondé sur un savoir précis du tableau». Comme si, arrivée en haut d’une échelle, cette peintre avait eu besoin d’en redescendre un à un les barreaux pour trouver sa propre voie, sa propre écriture. «Faire le chemin à l’envers».
Qu’est-ce que la peinture aujourd’hui et qu’est-ce qu’être un artiste? Elle trouve une solution singulière et nomade pour faire de la peinture. Elle travaille partout et sur tous supports avec une sobriété des matériaux employés: des feutres et du papier de toutes qualités et de toutes tailles.
Elle a la volonté manifeste d’être nulle part, c’est-à -dire perdue dans un vaste partout. «La peinture, l’acte artistique existe en nous et par nous, je ne me cantonne pas à un atelier, mais je travaille partout et mes dessins se nourrissent de mes déplacements».
L’artiste peut donc mettre en place son vocabulaire pictural, par la remise en question d’une certaine idée de la peinture et de ses outils: le pinceau, le châssis, le chevalet ne sont plus indispensables; la toile est abordée non tendue, non apprêtée, et les richesses des caractéristiques du tissu, la simplicité et la fragilité du papier sont désormais exploitées.
Prolifération à l’extrême, «ce qui compte, ce n’est pas le résultat final mais le chemin parcouru comme une course de longue distance où le travail mental fait tenir la recherche au bout du bout». Le travail sur toile sans châssis lui permet de la plier, de l’emmener en voyage, de vivre avec elle et de partager sa vie à chaque instant et dans n’importe quelles conditions.
Liberté d’action, de réflexion.
«Comment d’une forme quelconque, banale avec l’utilisation d’outils sobres, je peux donner à l’image une dimension de trésor. Peindre est un acte difficile aujourd’hui dans la société où je vis et en tant que femme j’ai décidée de me battre pour cette liberté vitale qu’est l’acte de créer, le droit de peindre partout et en toutes circonstances parce que rien ne m’arrête dans la volonté de vouer mon temps, ma vie à la recherche picturale».
Le temps, la durée, la persistance.
Les toiles et dessins travaillés parfois des centaines d’heures posent la question du temps passé. «Ce sont des morceaux de vie, des instantanés rendus infinis».
La forme quelconque est à la peinture ce que la cellule est au corps humain: son unité de base à partir de laquelle tout est possible. Une matrice d’où peuvent naître d’infinies variations. Forme quelconque ou forme primitive, «Urform», aurait dit Goethe, son «Urform»: celle- là même, originelle, d’où tout peut naître. Aucune forme n’est le strict calque d’une autre. Chaque forme décline la forme dans l’affirmation de sa singularité. Rendre une forme quelconque extraordinaire. Rendre magique le simple avec une sobriété des matériaux et une adaptation au territoire de l’artiste.
critique
Infinitude