Adrien Missika
Impressions botaniques
Si Adrien Missika s’inscrit dans la tradition des artistes voyageurs, c’est pour mieux questionner le sens et la notion même de voyage, à un moment où la diffusion vaste et quasi instantanée des images — des guides touristiques aux chaînes de télévision spécialisées sur le sujet, de Google Earth aux pléthoriques blogs amateurs tumblr —, en a profondément modifié les modalités et la signification. À travers un vaste champ de médiums, de la photographie à la vidéo, de la sculpture à l’installation, Adrien Missika explore les questions de l’ailleurs et de sa représentation, de l’exotisme et de sa mise en scène publicitaire par l’industrie du tourisme.
«Impressions botaniques» s’inspire pour son titre d’Impressions d’Afrique, ouvrage de Raymond Roussel écrit depuis le bateau avant même que son auteur ne pose le pied sur le continent. À la différence de l’écrivain, Adrien Missika a bel et bien effectué le voyage dont il est ici question, en l’occurrence au Brésil, sur les traces de l’architecte paysagiste brésilien Roberto Burle Marx (1909-1994).
Concepteur de très nombreux jardins, parcs et promenades — dont celle, iconique, bordant la plage de Copacabana à Rio de Janeiro — et collaborateur régulier d’architectes tels que Lucio Costa, Le Corbusier ou Oscar Niemeyer, il est considéré comme le fondateur de l’architecture paysagère moderniste.
Également naturaliste, Roberto Burle Marx portait un intérêt particulier aux plantes indigènes brésiliennes, dont il a nommé 33 espèces, et qu’il cultivait au retour de ses expéditions pour s’en servir dans la composition de ses jardins. Alors qu’avant lui les jardins «savants» créés au Brésil rassemblaient uniquement des plantes européennes — à la fois par soumission à un colonialisme culturel et comme symbole d’exotisme dans un cadre tropical —, Roberto Burle Marx a innové en ayant recours à des plantes indigènes.
Au centre de l’exposition, trois structures verticales évoquent les quelques porte-jardinières conçues par Roberto Burle Marx pour sa propriété de Guaratiba. Créations méconnues et très peu documentées, désormais à l’abandon, ces véritables jardins suspendus, tout en métal, noir pour les montants et aux couleurs vives et contrastées pour les bacs à fleurs, mariaient la verticalité de l’architecture à la luxuriance de la végétation.
Adrien Missika a remplacé le métal des structures par du bambou de construction, utilisé dans les pays en développement pour la construction d’échafaudages — offrant ainsi le contraste saisissant d’immeubles contemporains bâtis grâce à une technique ancestrale et à base d’éléments prélevés dans la nature —, en assemblant les différents morceaux avec de la ficelle nouée selon une technique traditionnelle. Les jardinières de couleur, en résine, ont été réalisées artisanalement par l’artiste dans son atelier.
Quant aux plantes, Adrien Missika a adopté le même parti pris que Roberto Burle Marx, en choisissant uniquement des plantes indigènes, essentiellement certaines espèces de fougères courantes en Île-de-France. Ces tours végétales convoquent ainsi les concepts plus ou moins utopiques de jardins verticaux et de villes vertes.
Autour, de larges fenêtres au verre miroir reflètent les structures centrales, et définissent la ligne d’horizon de l’exposition. Comme Roberto Burle Marx qui, sensible à la temporalité et au caractère éphémère de l’architecture et des civilisations, recyclait volontiers des éléments architecturaux pour ses créations, Adrien Missika a récupéré les baies vitrées d’un immeuble genevois des années 1960 voué à la démolition et les réintroduit dans un nouveau contexte. Sur certaines d’entre elles ont été posées des images agrandies de feuilles de palmiers, bananiers et ananas, que l’artiste a scanné sur le vif avec un scanner à main, comme une façon radicale, à la fois hyper technologique et manuelle, d’enregistrer le réel et de rapporter des images de voyage.
critique
Impressions botaniques