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Images et (re)présentations

Les années 1980 sont les années de l’explosion des médias et de leur influence dans la sphère artistique. Les images de la bande dessinée, de l’art, de la télévision, du cinéma, de la publicité et de bien d’autres domaines, sont utilisées par les artistes. Il se les approprient comme telles ou les transforment, les copient, ou encore les simulent.

Information

Présentation
Yves Aupetitallot, Gregory L. Ulmer, Thomas Lawson, Stephan Schmidt-Wulffen, Peter Fuller, Catherine Francblin, Helena Kontova, Germano Celant
Images et (re)présentations

Le présent livre qui accompagne l’exposition éponyme clôt un projet en deux volets dédié aux années 1980. Sa partie inaugurale était construite autour de la mise en exergue de l’espace privé et de l’espace public. Face au constat « de la fin des grands récits » et de l’achèvement supposé du moderne, les artistes se sont en effet évertués soit à montrer la nécessité de la réactivation de ce dernier soit à prendre acte de la réduction de la sphère publique à celle du privé et de la domesticité.

Dans les faits, chacun a plus ou moins endossé un positionnement sociétal intermédiaire, celui de la tribu ou du clan, révélant ainsi le symptôme d’une désagrégation du modèle édifié au sortir de la seconde guerre mondiale. Qu’ils se solidarisent au prétexte de leur géographie, de leur voisinage (les lieux et groupes des quartiers new-yorkais) ou de leur partage d’intérêts divers (À Pierre et Marie et Pour vivre heureux, vivons cachés en France, Brown Boveri à Milan), bon nombre d’artistes ont agi dans une communauté que l’émergence de médias et de programmes spécifiques reflète. En ce sens, la nature de l’espace dessiné pour le premier volet de notre exposition par Michael Smith, une chambre collective dans laquelle étaient évoqués et diffusés ces programmes, en rappelait l’évidence.

L’autre évidence, suggérée cette fois-ci, est bien celle d’une modification, voire même d’un épuisement de la figure dialectique d’opposition entre public et privé. La décennie est marquée par l’émergence d’un espace médiatique omniprésent qui se concluera par l’apparition générale du web. La société, entre ces notions de privé et de public, aurait été d’abord l’espace d’un flux continu d’images et de représentations dévolues à une spectacularisation généralisée.

Notre second volet est celui de ce troisième espace, ou tout au moins de celui des matériaux, des images et des représentations, qu’il emprunte et qu’il reproduit pour construire une critique de la représentation ou une théâtralisation de ce même champ et de sa psyché.

Dès 1977, l’exposition de Douglas Crimp, Pictures, marque selon les mots de son auteur « l’abandon des techniques traditionnelles d’expression » et conséquemment du modernisme lui-même. Cet abandon est la résultante du déplacement de la production artistique qui s’affranchit de ses limites formelles et perceptuelles pour s’affilier avec d’autres champs et d’autres pratiques. Parmi eux, l’industrie culturelle, les médias et la production artistique elle-même sont tout particulièrement sollicités par les artistes. Ils y confisquent des images et les soumettent à des modes et à des outils de production diversifiés. Ces répertoires iconographiques et ces imageries, dont l’appropriation est le mode de constitution, sont repris comme tels ou sont transformés, simulés, copiés. Leur corruption est produite par diverses formes de mise en œuvre empruntées à l’art du siècle, le collage, l’assemblage, le photomontage ou par l’appropriation d’un médium pour en restituer un autre, la performance par exemple qui produit de la peinture. Ces déplacements empruntent pour une bonne part la procédure allégorique du readymade duchampien ; dans son déplacement l’image appropriée change de sens.

Ce livre comme l’exposition prétendent rendre compte de ces déplacements à partir de quelques exemples soit de groupes d’œuvres soit du regroupement de quelques textes. Encore faut-il souligner notre souci d’une vue générale plus large que celle de la seule école new-yorkaise dont la galerie Metro Pictures est le cœur. Cette scène, qui est engagée dans une critique de la représentation et des médias, institue le déplacement de la fonction de l’artiste. Manipulateur de signes, il fait l’usage des outils et des matériaux de la représentation qu’il critique. En revanche, la scène artistique européenne et pour une autre part la scène new-yorkaise, notamment de l’East Village autour de Gracie Mansion, Patti Astor et de Tony Shafrazi, si elles se livrent à ces mêmes déplacements, n’en partagent pas les objectifs. À la différence d’une déconstruction des signes constitutifs de ces images et un retournement en pleine lumière de leur fonction idéologique, ces autres scènes se joueraient plus d’une théâtralisation de leurs effets et de leur mise en scène. La présentation new-yorkaise des artistes allemands en 1981 et en 1989 sera l’occasion de tensions sur cette ligne de fracture. Hal Foster, Donald B. Kuspit, Benjamin H. D. Buchloh et Peter Schjeldahl en seront les armes plumitives.

L’exposition s’est construite dans un équilibre réfléchi entre des contraintes de tout ordre et des choix de regroupement d’artistes et d’œuvres.

Nous avons tenté, comme dans son premier volet, de construire tout aussi bien une réalité géographique de la période, que la diversité de ses représentations à partir des caractères les plus significatifs qui autorisent le rassemblement de leur production.
Le visiteur de l’exposition sera ainsi conduit d’un groupe de pièces dévolues à la psyché comme sujet (la tentation néo-surréaliste de la décennie) au déplacement du médium (le déplacement de la reproduction photographique vers la technique du dessin) ou encore à la théâtralisation représentée du pouvoir et de l’art (Louis XIV Tanzt de Rüdiger Schöttle).

Les déplacements dont il est question sont ceux des images, soit pour en rendre visibles les signifiants soit pour en nourrir des récits théâtralisés ; ils sont également ceux des constituants formels de l’image et des répertoires iconographiques qu’ils déclinent.

Cette question de l’image et des (re)présentations est aussi celle de la monstration de l’œuvre, de son accrochage dans un display d’ensemble voire dans certains cas dans l’essai visuel qu’est le catalogue ou le livre.
La décennie a peu raisonné cette question tout en l’expérimentant constamment. La disqualification de l’esthétique moderniste à l’œuvre est aussi celle de la boîte blanche qui en est issue. Les accrochages se densifient, occupent l’entier des parois et des espaces, se déjouent de la hiérarchisation des pièces qui les composent et de leur autonomie.

Nous avons choisi d’évoquer cette question dans ce catalogue. Pour ce faire nous republions trois textes dans sa dernière partie. Une mise en perspective à l’échelle des avant-gardes avec Germano Celant, le script de l’accrochage de l’exposition inaugurale de Rudi Fuchs au Castello di Rivoli et le texte de Judith Barry publié dans le catalogue de l’exposition Damaged Goods dont elle a fait le design. En complément de ces textes nous avons rassemblé des vues d’expositions collectives organisées par des artistes, des vues de certaines de leurs expositions indviduelles ou de pièces-installations particulières. En conclusion, nous donnons à voir des vues de notre première exposition.

Souhaitons que l’ensemble de ces matériaux puissent contribuer à une meilleure connaissance de cette décennie. Que soient remerciés ici celles et ceux qui ont contribué à sa réalisation.

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