Vidya Gastaldon
I’m in Love with the New World
«Il sentit la bulle le soulever, l’emporter, éclater. Le tourbillon de sable le prit, l’enveloppa, l’entraîna dans des ténèbres fraîches. Un instant, l’obscurité, l’humidité lui furent agréables. Puis, en cette seconde où sa planète le tuait, Kynes se dit que son père se trompait, comme les autres savants.»
Frank Herbert, Dune, 1965, ed. Robert Laffon, Paris, 1980, t.2, p.103
Les peintures étranges, mouvantes mêlent cette idée de destruction nécessaire à l’avènement d’un monde renaissant et interrogent quant à la forme qu’il prendra, nouvel Eden ou nouvel Enfer. A ces peintures, à la fois lumineuses et inquiétantes, s’ajoutent trois installations. L’une en hommage à Meret Oppenheim, présente des chaussons joufflus et moelleux, ils sont teints et brodés de veines rouges les parcourant ; à la fois raccrochés à la terre, au sang qui coule, à la vie, ils sont aussi, de par leur composition en plume à rapprocher du rêve, de l’aérien. 13 paires de chaussons alignées le long du mur pour 13 invités que l’on attend.
Une autre installation plus Lewis Carollienne, rappelle la table envahie du Chapelier Fou, Vidya Gastaldon essaime des théières, des objets peints qui s’organisent sous nos yeux en une apparition hilare et mousseuse. Ces objets humanisés, imprégnés d’un certain surréalisme cartoonesque, rappellent les objets animés de Disney. Ils abondent, défilent et créent un univers en marge du réel ancré dans une temporalité à part mais existante.
Cette question du débordement, de l’agitation, du basculement d’un monde à l’autre ramène à cette question de l’Apocalypse, «Après moi le déluge» pourrait on dire. Cette notion existe depuis des siècles mais a radicalement changé depuis la seconde guerre mondiale. L’image du champignon atomique a fait prendre conscience à l’humanité que par le biais de la maîtrise technique elle pouvait pour la première fois prendre le contrôle de sa propre fin laissant de côté la part ésotérique de la chose, plus besoin de jugement dernier. Depuis, une masse de discours apocalyptiques foisonnent, et pourtant à l’origine le mot grec «Apokálypsis» suggérait plutôt une révélation par laquelle le réel prendrait une nouvelle signification. Ce glissement de sens passant de révélation à anéantissement se retrouve dans la dualité de certaines œuvres de Vidya Gastaldon. Dans leur éclatement de couleurs et de détails, des entités transparentes, aériennes et dynamiques s’opposent à des monstres à visages multiples tapis quelque part, ses œuvres interagissent les unes avec les autres. Moins idylliques que ses œuvres antérieures sans pour autant être négatives, elles déterminent un univers plastique par le biais de la mise en scène et de la narration.
A la fois mystique, fantastique et très plastique dans sa pratique artistique, Vidya Gastaldon développe une sorte d’harmonisation des qualités tant psychiques que physiques. Allergique à une éventuelle mise sous contrôle, elle nous livre un panorama cosmique alliant divinités hindoues, personnages du Muppet Show, allusions christiques. Son travail citant Turner, Burchfield, Blake ou Bunuel, revêt un caractère protéiforme relevant du divin, de l’hallucination ou tout simplement du quotidien. Dans ce mélange de sacré, de sensualité, d’humour et parfois de provocation, elle parvient à établir un rapport entre l’être et le censé être. Elle fait naître de nouvelles croyances et avec des impulsions négatives ou positives elle contraint les égrégores censés reproduire toujours le même schéma à ne plus influencer la pensée collective.
La fin du monde n’a pas eu lieu, nous pouvons respirer et d’ores et déjà nous pencher sur la prochaine conspiration apocalyptique; en attendant Vidya Gastaldon, elle, est amoureuse de ce nouveau monde.