Matisse côtoyant un dripping de Jackson Pollock ou des affiches lacérées de Raymond Hains peut surprendre. Pourtant, une similitude s’établit et on a ainsi l’impression d’avoir un regard à la fois neuf et éclairé sur le peintre français.
L’exposition se déroule en trois blocs chronologiques, l’immédiat après-guerre aux États-Unis avec l’Expressionnisme abstrait, les années 50 en France, enfin une vision élargie de la peinture de Matisse dans les années 60.
L’Expressionnisme abstrait renouvelle, grâce à l’influence de Matisse, les rapports du dessin à la couleur. A l’instar de la technique des gouaches colorées, les peintres de l’Ecole de New York travaillent directement la couleur sans intervention préalable du dessin.
Dans Out of the Web, Number 7, de Jackson Pollock, les formes ajournées sur la toile font écho à Jazz, composition en gouaches découpées que Matisse réalise dans les années 40.
La suite de l’exposition montre l’influence de l’Expressionnisme abstrait en France dans années 50 et, par ce biais, une nouvelle interprétation de la peinture de Matisse.
Les artistes présentés ont en commun un rapport libre à la couleur et à l’espace de la toile. Les affiches sont lacérées chez Jacques Villeglé et Raymond Hains tandis que pour Simon Hantaï, la toile est pliée avant d’être peinte.
La référence à Matisse, si elle existe réellement, ne s’appréhende qu’à travers son adaptation par l’Ecole de New York.
En revanche, son influence est plus directe sur les artistes américains vivant à Paris, à l’exemple de Sam Francis ou de Morris Louis. La peinture vive et colorée est disposée librement et laisse apparaître la surface brute de la toile comme dans les toiles fauves du début du XXe siècle.
A partir des années 60, les artistes revendiquent Matisse à travers une totale liberté face aux matériaux avec l’utilisation de tissus, gélatine ou papiers gouachés. L’œuvre de Claude Viallat 1966, N°046, La Vague, combine les couleurs vives, les motifs découpés dans un hommage explicite au peintre.
Cependant, à ce point de l’exposition, la notion de peinture décorative est le seul lien entre Matisse et les artistes présentés dans ces salles.
A l’exception des travaux de Claude Viallat, la correspondance formelle est loin d’être évidente. Le travail sur tissu et la répétition d’un même motif rapprochent les expériences de Daniel Buren ou de Blinky Palermo d’une pratique ornementale souvent appliquée à la peinture de Matisse.
La lecture abstraite de Matisse par différents artistes va à l’encontre des convictions de l’artiste lui-même qui a toujours refusé l’abstraction. Sa toile Porte fenêtre à Collioure semble démontrer le contraire et pourrait être un point de départ parfait de cette interprétation. Pourtant, l’apparition publique de cette œuvre est tardive, bien après l’influence active de Matisse sur l’Expressionnisme abstrait.
«Ils ont regardé Matisse» lève le voile sur un phénomène intéressant. Suite à la lecture particulière de certains artistes sur l’œuvre du maître français, une nouvelle conception de la peinture de Matisse a émergé. Certaines toiles, considérées comme des esquisses, ont accédé au statut d’œuvre d’art.
L’exposition joue sur un écho de formes, de couleurs entre Matisse et quinze autres peintres. Certaines correspondances s’imposent comme des évidences, d’autres sont plus obscures. Le visiteur crée ainsi son propre itinéraire à travers l’influence de Matisse sur la peinture abstraite.
Henri Matisse
— Porte fenêtre à Collioure, 1914. Huile sur toile. 116, 5 x 89 cm.
Jackson Pollock
— Out of the Web, number 7, 1949. Huile et email sur panneau. 121,5 x 244 cm.
Morris Louis
— Omega IV, 1959-1960. Acrylique sur toile. 368 x 268 cm.
Richard Tuttle
— Ladder Piece, 1966-1967. Toile jaune découpée. 197 x 49 cm.
Claude Viallat
— 1966, N°046. La Vague, 1966. Gélatine et colorant sur toile. 132 x 120 cm.