Le chorégraphe Thomas Lebrun, actuel directeur du Centre national chorégraphique de Tours, a créé environ vingt-cinq pièces en quinze ans de carrière. Depuis plusieurs années, c’est le thème de la mémoire qui se trouve au cœur de son travail : la mémoire de ses propres créations, revisitée dans le spectacle Another Look at Memory (2017), mais aussi celle de la tragédie historique de Hiroshima dans Ils n’ont rien vu (2019).
Ils n’ont rien vu : interroger la mémoire de la destruction d’Hiroshima 75 ans après
Le 6 août 1945, ils n’ont rien vu à Hiroshima. Rien vu venir, rien vu partir. Suite au bombardement atomique, il n’y avait plus rien à voir, ou presque, de ses 50 000 habitants et de ses 350 ans d’histoire. Bientôt 75 ans après, que reste-t-il du souvenir de cette destruction ? L’oubli nous menace-t-il ? Allons-nous compromettre les promesses qu’une telle catastrophe ne se reproduise plus ? A peine 15 ans après les faits, Marguerite Duras se posait déjà les mêmes questions, lorsqu’elle écrivait le scénario du film Hiroshima mon amour (1959), réalisé par Alain Resnais.
Le spectacle Ils n’ont rien vu du chorégraphe Thomas Lebrun prend pour point de départ cette œuvre cinématographique et se présente comme un prolongement de sa réflexion sur la mémoire. Du film, il garde quelques extraits du texte écrit par Marguerite Duras, ainsi que la musique composée par Georges Delerue et Giovanni Fusco. Il est allé puisé le reste de ses sources d’inspirations directement à Hiroshima, dans le cadre d’une résidence au Japon, en rencontrant des survivants de la bombe atomique – des hibakushas – ou en visitant le Mémorial de la Paix.
Ils n’ont rien vu : chorégraphier pour voir, ne pas oublier, ne pas reproduire
Le spectacle a pour unique décor un large boro de huit mètres sur dix. Au Japon, un boro est un assemblage de tissus récupérés par les gens de modeste condition pour en faire des vêtements ou des couvertures. Celui-ci a été confectionné par la plasticienne Rieko Koga à partir d’étoffes qui proviennent d’Hiroshima et d’autres villes japonaises. Plié puis étalé au sol, le boro se fait rivière, où les interprètes miment la pêche traditionnelle.
Sur scène, une vision idéale des traditions d’Hiroshima avant le drame est dépeinte : les neufs danseurs revêtent des kimonos couverts de fleurs représentatives de la nature nippone ; ils interprètent le Kagura, danse traditionnelle japonaise ; ils manipulent des éventails ainsi que des origamis géants, notamment en forme de grues – symbole de la paix au Japon. Puis l’origami prend la forme d’une bombe et le boro celle d’une vague, qui déciment au ralenti les corps et la nature alors qu’un bourdonnement assourdissant résonne.