L’atmosphère si particulière que dégage la nouvelle exposition de Tatiana Trouvé tient peut-être d’abord à la disposition des objets dans l’espace. Leur agencement décrit un circuit, un parcours visuel et mental que souligne une main courante fixée le long des cimaises. Les pièces, structures réalisées avec de fins tubulaires métalliques contribuent également à dessiner l’espace. L’œil suit l’arête des objets dont les articulations sont autant de vecteurs, d’agents de liaisons entre les éléments qui les constituent.
Selles de vélo, barre amovible, chaînes reliant entre elles des boules de ciment, tout pousse à croire qu’un secret rapport de causalité a motivé ces rapprochements. La selle de vélo n’est-elle pas là pour suggérer une dimension ludique ou utilitaire de ces dispositifs ? On parcourt mentalement le mécanisme de l’objet, essayant d’imaginer ce que sa mise en branle pourrait provoquer, mais c’est en vain. On ne pourra pas l’essayer non plus, en raison de sa taille minuscule. Non seulement l’objet se ferme à toute logique d’usage mais il nous tient également à distance par son échelle inadéquate. Notre sort est semblable à celui de Gulliver que sa taille rend étranger à ce qui l’environne.
Malgré l’étrangeté des pièces, on n’a cependant jamais l’impression de basculer dans l’absurde. La rigueur architecturale de celles-ci pousse à leur attribuer une logique interne. S’il est évident qu’elles n’entretiennent guère avec le réel un rapport d’ordre mimétique, elles ne sont pourtant pas dépourvues d’un air de famille avec les objets qui peuplent notre réalité, sans que l’on sache d’ailleurs en quoi tient cette impression.
Quoi qu’il en soit, ces objets finissent toujours par opposer à nos projections leur troublante autonomie. Le mouvement de va-et-vient entre sujet et objet, caractéristique de la tentative de constitution d’un sens se brise, comme pour mieux reconduire le sujet à lui-même. L’échelle réduite des objets ne nous place-t-elle pas d’emblée dans un rapport d’extériorité ?
Plusieurs analyses du travail de Tatiana Trouvé ont opéré des rapprochements avec la psychanalyse. Ce mutisme des objets pourrait bien faire penser au retrait de l’analyste par lequel une conscience privilégiée de soi devient possible. De la même manière que les mots se détachant avec force dans le silence de l’analyse, notre présence physique est mise en valeur, constamment interpellée.
Les opérations de réduction des pièces à leur plus simple appareil confèrent à l’ensemble un caractère spectral. Composée de fines rangées de tuyauteries reliant le sol de la galerie au plafond, l’installation centrale articule l’espace en plans distincts, auquel de petites chaises transparentes disposées par endroits donnent un semblant d’humanité. En suggérant la présence du corps d’une manière indicielle, Trouvé pointe le caractère désert d’un lieux potentiellement vivable. Mais tout en feignant la disponibilité, les pièces sont rétives à toute saisie définitive, qu’elle soit d’ordre physique ou conceptuelle. Renvoyant le sujet à ses interrogations et à ses doutes, leur caractère ironique empêche toute impression de maîtrise. Contribuant aussi à les creuser efficacement, elles font durer cet espace incertain du doute qui nous tient suspendu comme à un rêve éveillé.
Tatiana Trouvé
— Mur de poils, 2005. Corde, perles, clochettes. Dimensions variables.
— Sans Titre (vélo noir avec percussions), 2005. Technique mixte. 2 éléments : 84 x 33 x 72 cm et 40 x 22 x 39 cm.
— Sans Titre (Bidons), 2004. Collage sur papier. 74,5 x 107 cm.
— Sans Titre (Étagères), 2004. Collage sur papier. 75 x 110 cm.
— Sans Titre (muselière violette), 2005. Technique mixte. 58 x 63 x 45 cm.
— Sans Titre (vélo bleu), 2005. Technique mixte. 63 x 25 x 67 cm.
— Sans Titre (cuir noir), 2005. Technique mixte. 58 x 230 x 8 cm.
— Sans Titre (cuir rose-bleu), 2005. Technique mixte. 58 x 230 x 8 cm.
— Sans Titre (muselière rose), 2005. Technique mixte. 58 x 63 x 45 cm.
— Sans Titre (muselière verte), 2005. Technique mixte. 58 x 63 x 45 cm.
— Sans Titre (cuir vert-blanc), 2005. Technique mixte. 58 x 230 x 8 cm.
— When I first came to Town, 2004. Technique mixte. 45 x 230 x 40 cm.
— Sans Titre (vélo avec boules de ciment), 2005. Technique mixte. 83 x 31 x 63 cm.
— Polder, 2005. Technique mixte. Installation composée de : Orgues de tuyaux (3 mètres de haut), 2 lampes 114 x 35,5 x 33,5 cm, 4 chaises de 51 x 32 x 22 cm (dont une avec collier de coiffeur), 2 grandes chaises avec colliers de coiffeur de 84 x 32 x 22 cm et 1 table 32 x 55 x 34,5 cm