ART | CRITIQUE

Idée de la peinture – Hommage à Martin Barré

PJulia Peker
@12 Jan 2008

Figure importante de l’abstraction, le peintre Martin Barré travaille sur des figures simples, épurées, qui traversent l’espace blanc de toile comme des apparitions fragiles. Ces formes semblent toujours menacées de disparaître, s’approchent sans composer, se font signe sans se compléter.

La galerie Nathalie Obadia rend hommage à une figure encore méconnue de l’abstraction: le peintre Martin Barré, des années 1960 aux années 1990. L’exposition «Idée de la peinture» rassemble onze de ses toiles, et les accole à celles de peintres contemporains et amis de Barré: Christian Bonnefoi, Raoul de Keyser, On Kawara, Peter Halley, Robert Mangold, Albert Oehlen, Bernard Piffaretti, Pascal Pinaud, Christopher Wool. Ce parcours délibérément mêlé permet de mettre ces œuvres en regard, et de prendre conscience de la singularité de Martin Barré.
D’une simplicité très épurée, ses toiles fonctionnent par séries. Les titres ressemblent plus à des codes-barres qu’à des évocations: ils identifient l’œuvre par son année et ses dimensions, l’inscrivant comme un échantillon à l’intérieur d’un travail plus systématique.
67-Z-7, ou 87-89-81×144 E: ces titres redoublent les données descriptives. L’abstraction austère est relayée par ces équations qui formulent les informations pratiques comme une énigme.

Les figures géométriques de Martin Barré respectent des formes simples et régulières: triangles, carrés, lignes rythment l’espace blanc de la toile. Rien ne permet de donner vie à ces canons de la géométrie la plus élémentaire, si ce n’est leur présence sur la toile, toujours un peu marginalisée, presque au bord de la disparition.
Le fond peint en blanc acquiert une force centrifuge, à tel point qu’il semble dépourvu de centre. Rares sont les figures qui s’inscrivent pleinement et fermement en lui: tronquées ou isolées, elles traversent la toile.
Aussi massives soient-elles par leur régularité, elles n’en sont pas moins fragilisées par ce travail de composition. Dans 87-89-81×144 E, les quatre carrés ont tous un coin en moins, chaque fois différent. Disposés sur la tranche de la toile, ils échappent à leur rigueur géométrique: le côté placé sur le bord pourrait se prolonger, et cette incertitude perturbe la simplicité des formes.
En soustrayant un coin différent à ces quatre carrés, Martin Barré donne en creux le carré plein qui pourrait compléter cette équation. Il souligne l’absence de la figure parfaite plus qu’il ne l’indique.

Deux toiles très proches peuvent être mises en miroir : Acqua/Green/Orange + Painting (1983), de Robert Mangold, et 79-A (1979), de Martin Barré. A voir les lignes de Mangold se croiser pour former une composition, on prend conscience que celles de Barré se rencontrent de loin, sans composer entre elles. Loin d’être le principe unifiant où s’invente une figure complexe, la toile est chez lui un espace qui renvoie à son dehors. Les lignes s’approchent les unes des autres, mais le fond n’est pas un espace vierge, une surface qu’on puisse traverser.

Les œuvres présentées sont celles qui se situent après le tournant de 1960, quand Martin Barré travaille directement le tube de peinture, supprimant la médiation encombrante de la brosse et du couteau. A côté de ce travail de réduction des éléments matériels, se trouvent des œuvres peintes à la bombe, dont le tracé franc porte le geste initial.
67-F-2-113 x 105 représente une flèche: le trait à la bombe attire l’attention sur ses contours flous, presque sales, entraînant le signe dans une autre direction.

L’idée qui émane de la peinture de Martin Barré est celle d’une œuvre discrète et fragile, où la rigueur met en valeur les éléments de désordre. Les formes ne sont épurées que pour être tronquées, et l’espace de la toile devient un territoire à conquérir, où le fond sépare les figures plus qu’il ne les réunit.

Martin Barré
— 87-89 – 81 x 144 – C, 1987-1989. Acrylique sur toile. 81 x 144 cm.
— 72-73-F – 108 x 100, 1972-1973. Acrylique sur toile. 108 x 100 cm.
— 67-F-2-113 x 105, 1967. Acrylique sur toile. 113 x 105 cm.
— 80-A – 110 x 100, 1980. Acrylique sur toile. 110 x 100 cm.
— 60-T-32, 1960. Acrylique sur toile. 96 x 90 cm.
— 65-BL – 113 x 70, 1965. Acrylique sur toile. 113 x 70 cm.
— 79-B – 150 x 138, 1979. Acrylique sur toile. 150 x 138 cm.

Bernard Piffaretti
— Sans titre, 2004. Acrylique sur toile. 200 x 200 cm.
— Sans titre, 2005. Acrylique sur toile. 200 x 200 cm.
— Sans titre, 2004. Acrylique sur toile. 180 x 200 cm.
— Sans titre, 2005. Acrylique sur toile. 180 x 250 cm.
— Sans titre, 2005. Acrylique sur toile. 97 x 146 cm.
— Sans titre, 2005. Acrylique sur toile. 150 x 100 cm.

Pascal Pinaud
— Black and White MacLaren (06A04), 2004. Laque auto sur tôle, apprêt et vernis. 175 x 110 x 8 cm.
— Hennarot BMW (02A01), 2002. Laque auto sur tôle, apprêt et vernis. 175 x 110 x 8 cm.

Albert Oehlen
— Song X, 2004. Huile et papier sur vêtements artificiels. 280 x 300 cm.
— Untitled, 1992-2005. Sérigraphie, laque, et huile sur toile. 210 x 290 cm.

Peter Halley
— Privilege Level, 2000. Acrylique, Day-Glo, peinture métallisée et Roll-a-Tex sur toile. 198,1 x 165,1 cm.

Robert Mangold
— Aqua / Green / Orange + Painting, 1983. Acrylique et crayon noir sur toile, aluminium. 243,8 x 250 cm.

Raoul De Keiser
— Zei…Heuvels , 1979. Huile sur toile. 50 x 50 cm.

Christian Bonnefoi
— Beatus VIII, 2004. Acrylique sur papier. 200 x 165 cm.

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