L’Å“uvre du duo Yona Friedman et Jean-Baptiste Decavèle consiste en une constellation d’inventions architecturales, de créations photographiques ou vidéo, qui se greffent à leur univers utopique et visionnaire. Au fil des productions artistiques se tisse un double récit d’amitié créative et d’aventure qui se noue à partir de l’île fictive Balkis Island.
Ce premier projet Balkis Island débute avec les voyages de Jean-Baptiste Decavèle au Groenland où il a constitué, en photo et vidéo, des archives qui constituent un témoignage sur ce paysage froid. A partir de ces documents, l’architecte Yona Friedman a imaginé une possible urbanisation, un projet architectural capable de rendre vivable une île du Grand Nord. Dès lors, Jean-Baptiste Decavèle et Yona Friedman ont décliné ce concept de ville et de ponts imaginaires aux quatre coins du monde, dessinant une cartographie utopique et sérieuse.
La galerie Anne Barrault est ainsi transformée en un point de cette cartographie, un espace investi par les artistes pour abriter leur Å“uvre nomade. Les murs étant entièrement recouverts de carton alvéolé, matériau récurrent chez Yona Friedman, l’espace se confond avec l’Å“uvre elle-même. Dès l’entrée, on pénètre dans un lieu de médiation entre le monde réel et le monde élaboré par les deux artistes.
Dans la vitrine de la galerie, un cylindre en plexiglas abrite une maquette minimaliste de maison, composée de la superposition de trois éléments: un rouleau de carton alvéolé sur lequel est posée une barre de plastique horizontale supportant une façade de maison. Par un jeu de pliages et de découpages, la façade prend corps, les languettes inclinées formant le toit, et les espaces découpés, les fenêtres.
Simplement posés les uns sur les autres, ces trois éléments peuvent être assemblés et désassemblés par un simple geste de la main, le carton de la maison, déplié, et le carton alvéolé, déroulé.
De cette construction éphémère et fragile, le cylindre se fait écran de protection et d’observation. Alors que le rouleau-support rappelle les murs de la galerie, le plexiglas transparent double la vitrine devant laquelle l’Å“uvre est présentée. Ces références à la salle d’exposition provoquent une inversion des proportions, un phénomène de mise en abîme où l’on a l’illusion presque imperceptible d’observer, à petite échelle, l’édifice dans lequel on se trouve. Avec une grande économie de matériaux et de gestes, Yona Friedman et Jean-Baptiste Decavèle parviennent à créer une relation d’ordre imaginaire entre l’individu et son environnement architectural.
Au centre de la galerie, est installée une maquette faite de papier, de carton et de rhodoïde. Elle évoque le projet de Yona Friedman de ville spatiale au-dessus du Ponte della Liberta, qui relie la cité lagunaire de Venise à la ville de Mestre.
Cette maquette est associée à une vidéo réalisée par Jean-Baptiste Decavèle montrant Yona Friedman en train de manipuler les modules qui la composent. On le voit démonter cet objet, et le ranger, partie par partie, dans un carton. Loin de l’idée d’une machinerie lourde et sophistiquée, le geste lent de l’artiste indique que sa structure est légère et facilement démontable. Peut-être les artistes essaient-ils, à travers cette vidéo, de démontrer que leur projet est simple de réalisation.
Mais plus qu’une démonstration, la vidéo apporte un témoignage sur la relation qui unit l’artiste à son l’Å“uvre: auteur d’un concept architectural potentiellement réalisable, l’architecte Yona Friedman apparaît comme un artiste. Concrète et volatile à la fois, sa structure rappelle qu’au-delà des contraintes matérielles, la création artistique peut réinventer l’environnement humain.
La série de photographies collectées par Jean-Baptiste Decavèle se présente dans des dispositifs de rétroéclairage, accrochés au mur. Il s’agit de stéréographies, technique photographique associant deux prises de vue simultanées et légèrement décalées.
Issue du projet Balkis Island, chaque paire d’images évoque un paysage: des montagnes enneigées, des rocs, une ville encastrée dans une vallée entre de hautes montagnes, ou des habitats.
Le film de rhodoïde appliqué sur les photographies permet à Yona Friedman de peindre sur l’image par transparence. Sur un exemplaire de chaque paire, l’artiste a tracé des traits, occupant les espaces vides entre les éléments photographiés. D’un roc à l’autre ou d’une montagne à l’autre, l’alternance de lignes diagonales et horizontales crée des passerelles imaginaires. Cette série d’images perpétue le principe d’architecture spatiale élaboré depuis Balkis Island.
Une vidéo et une seconde série de photographies présentent la relation de l’artiste à son Å“uvre en cours d’élaboration. Jean-Baptiste Decavèle a filmé Yona Friedman en contre-plongée, face à une structure sphérique faite d’un assemblage de polyèdres en fil de fer. Le titre de l’Å“uvre, Iconostase, fait référence aux cloisons qui servent de support à plusieurs icônes religieuses, dans les églises baroques. Le titre emprunté au mobilier clérical traduit déjà l’intention de l’artiste: les polyèdres de cette structure sont destinés à encadrer des Å“uvres d’art.
Dans cette vidéo, Yona Friedman déambule face à son Å“uvre. Il est filmé depuis une nacelle située au-dessus de la sphère, de façon à saisir la scène en contre-plongée. De fait, l’Å“uvre est au premier plan tandis que l’artiste situé au second plan semble de petite taille. Yona Friedman esquisse des pas d’avant en arrière, et est parfois vu de dos. Il semble animé physiquement par ses idées. Ses va-et-vient manifestent son dialogue intellectuel avec son Å“uvre. L’Iconostase paraît flotter dans les airs, au-dessus d’un artiste qui pense et repense sa création, en cours d’assemblage ou de finition.
Une série de photo-montages est associée à cette vidéo. L’un d’eux présente par exemple Yona Friedman en train de manipuler l’un des cerceaux de L’Iconostase. Une même image est multipliée et assemblée de façon à créer un va-et-vient rythmique: découpé aux niveaux de la tête, le buste et les jambes, l’artiste s’articule et s’anime. La tête entre les mains, il semble esquisser le pas d’une danse rythmée et gracieuse qui exprime l’harmonie qui règne entre lui et sa création. La photographie et la vidéo se complètent donc, car les clichés expriment aussi bien que le film les mouvements du créateur.
Å’uvres
— Yona Friedman, Jean-Baptiste Decavèle, Balkis Island. Dispositifs de rétroéclairage, stéréographies, film rhodoïde et peinture.
— Yona Friedman, Jean-Baptiste Decavèle, Iconostaste. Photo-montages et vidéo.
— Yona Friedman, Jean-Baptiste Decavèle, Ponte Della Liberta. Maquette de papier, carton, film rhodoïde, et vidéo.