À partir de la lecture du texte original d’Anna Kavan (sans traduction), François Verret plonge le spectateur dans l’univers d’un trio amoureux: un narrateur, une femme, un gouverneur. Pouvoir, manipulation et possession obsessionnelle guident ses êtres vers le néant. Ils tournent autour de la noirceur du manque (le “black hole”), l’absence glaçante d’un être aimé. L’âme des personnages erre sans pouvoir sortir de ce fléau les amenant vers un cataclysme éminent.
Danseurs, chanteurs, tous représentent les multiples facettes des trois figures du roman. La voix suave de la chanteuse rwandaise Dorothée Munyazena et celle plus sombre du ventriloque Graham Valentine, racontent en chanson l’addiction amoureuse de cette femme, partagée entre deux hommes. Ses sentiments inassouvis tendraient vers la complaisance d’une histoire se pétrifiant dans une ellipse. Mouvement circulaire que l’on retrouve autant dans la chorégraphie que dans la mise en scène. Dans un coin, un plateau rond circule avec des petites marionnettes. Le contraste entre le corps de ces poupées et le corps des interprètes dévoile l’infinie démesure du temps et de l’espace.
Derrière un voile couleur de l’ébène, un danseur se suspend, ses bras dans des étriers. Son corps vrille, joue avec les lourds rideaux noirs. Devant l’immensité de ces drapés circulaires, il n’est que l’accessoire d’une tragédie. Des combats s’amorcent tandis que le narrateur voit s’échapper sa bien-aimée. Dans la dynamique d’une conversation sans bavardage, les danseurs s’animent de pulsions et d’assauts évoquant un désordre intérieur.
Comme une métaphore de notre société, Ice témoigne d’un temps en perte d’empathie où l’intérêt se trouve dans l’instant. Sous les rires corrosifs de Graham Valentine et de Dorothée Munyazena, ce manifeste lugubre, inspiré de l’œuvre éponyme de la grande voyageuse anglaise, est une descente en enfer où se dissolvent les personnages dans un décor définitivement noir.