LIVRES

I Prelibri

Réédition à l’identique des Prélivres publiés en 1980 par la galerie Danese (Milan). 12 formidables petits livres pour apprendre aux enfants à aiguiser leurs sens : carton, bois, plastique, feutre, laine, fourrure, etc. Jeux des pleins et des vides, des contrastes, des couleurs, des reliefs… Un plaisir de la découverte sans cesse renouvelé à offrir d’urgence.

— Éditeur : Edizioni Corraini, Mantoue
— Diffuseur : Les Trois Ourses, Paris
— Année : 2002
— Format : 39,50 x 28 cm (Coffret de 12 livres de 10 x 10 cm)
— Illustrations : aucune
— Pages : non paginé
— Langues : français, anglais, italien, allemand
— ISBN : 888794266-8
— Prix : 130 €

Texte
par Nolwenn Chauvin

Bruno Munari n’a aucune formation artistique. Sa vocation apparaît lors de rencontres avec des artistes futuristes à Milan, où il est installé depuis 1926. Il partage avec eux un goût pour le graphisme, l’écriture et le livre. Il collabore d’ailleurs par ses illustrations, en 1933 et 1937 (pour la seconde édition), à deux des quatre livres en métal futuristes.

Marinetti et lui travaillent tous deux sur des planches tactiles (assemblage d’éléments en relief tels que râpes à fromage, pointes de gramophone, etc. pour une lecture tactile aveugle) qui préfigurent sa réflexion sur le toucher concrétisée par Les Prélivres. Il développera par ailleurs, en une série d’ouvrages, Les Livres illisibles, une thématique autour du récit visuel : agencement des trous dans les feuilles, effets de transparence, fils traversant le livre, etc.

En tant que graphiste, il s’occupe, vers 1940, de la réalisation de maquettes chez l’éditeur italien Einaudi avec lequel il crée par la suite une collection pour enfants. Il sera aussi l’un des protagonistes de l’art concret italien (Movimento Arte Concreto) durant l’après-guerre.

La technique abordée par la sculpture l’amène à s’intéresser au design qui lui apparaît comme l’adéquation entre la forme d’un objet, sa fabrication et son usage. Il présente une simplicité d’expression et une qualité artisanale que Munari apprécie, lui que les multiples attirent. Danese, le galeriste milanais qui a élevé l’objet industriel au rang des Beaux-Arts, de 1950 à 1985, le soutient.
C’est dans ce climat d’effervescente créativité que Munari conçoit ses jeux et ses livres pour enfants. Il s’agit avant tout pour lui, dans une optique pédagogique, de développer la créativité pour aider à comprendre les formes et les couleurs, en une exploration visuelle. Son travail n’obéit à aucune règle et se base sur l’ouverture et le partage.

Les Prélivres relèvent de ce principe puisqu’ils travaillent sur la matérialité et permettent de faire comprendre la structure même du livre en établissant la différence entre une feuille et le livre par la primauté de sa reliure. Munari a ainsi réalisé une série de douze livres proches de l’objet, jouant sur les matériaux (laine et carton, mousse, feutrine, poil, bois, plastique, etc.), sur les formes et le mouvement (bonhomme, agrandissement, rétrécissement, etc.) et sur les couleurs (feuilles monochromes, transparents, etc.). Ce sont avant tout des livres tactiles que l’enfant doit manipuler et explorer sans retenu. Peu à peu, il va comprendre et prendre conscience des multiples possibilités qu’ils offrent. À travers ces livres, Munari cherche à faire entrer l’art dans l’univers de l’enfant mais aussi à faire découvrir l’invisible, ce que l’on ne voit pas et qui pourtant est contenu en tout objet.

Munari insiste sur l’importance du toucher et de la « surprise » qui permet de créer un lien affectif entre le livre et l’enfant, et qui vont l’amener à désirer en découvrir d’autres, les uns après les autres. Car l’enfant qui découvre un objet se tourne complètement vers lui pour le connaître et l’explorer. L’artiste italien va adapter le procédé de la découverte à l’ensemble de ses livres, privilégiant le livre en tant qu’objet et non pas seulement réceptacle d’un récit. D’ailleurs, le récit est quasi-absent dans les ouvrages de Munari. Il est suggéré plus qu’imposé. Liberté est donnée à l’enfant de découvrir son propre rythme de lecture et d’inventer sa narration au gré des découvertes.

Comme le Japonais Katsumi Komagata (invité au prochain Salon du Livre et de la Presse jeunesse à Montreuil), Bruno Munari a d’abord fait ses livres pour son fils. Il s’est attaché également à mêler l’art à la vie en créant des objets qui s’intègrent harmonieusement à l’environnement social. Cette préoccupation l’a poussé à approfondir la relation à la lecture en inventant des habitacles pour des bibliothèques ainsi que le livre-lit / livre-lu, Il Libroletto, un livre de lecture modulable, en tissu, qui répond à cette définition de Munari : « Un livre est un lit habité à sa façon par chacun de nous ».

Munari a choisi le livre dans son entier, de la forme au contenu, pour exercer ses recherches, expérimenter et jouer avec les pages, les matériaux et la structure matérielle du livre. En ce sens, ses livres, qui n’ont rien d’anecdotiques, se rapprochent du « livre d’artiste ». Bien qu’ils correspondent à une approche particulière du livre pour enfants où l’enfant est partie prenante, ses livres prennent place dans l’ensemble d’un processus créateur d’où le livre, en général, est le composant essentiel. Toute sa carrière artistique répond à une interrogation constante et à une thématique récurrente auxquelles n’échappent pas ses livres novateurs pour enfants malgré toute leur singularité et leur richesse.

L’artiste
Bruno Munari, né en Italie en 1907, est mort en 1998.

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