Alors qu’Oliver Stone s’apprête à faire du 11 septembre un film, Alain Declercq lui coupe l’herbe sous le pied. Le trublion d’Hollywood n’aura pas la primeur de cette transgression. «(I am) Mike» — à défaut de faire entrer le 9/11 dans le champ de la représentation (les caméras de télévision du monde entier s’en sont déjà chargées il y a quelques années) — est la première pierre d’un parcours artistique dont l’avenir nous dira s’il est fructueux.
Les Nord-Américains recyclent volontiers leurs traumatismes politiques dans les arts plastiques. Un artiste français montre la voie à travers des clichés photographiques faussement narratifs.
Comme dans toute exposition, le sens giratoire tient un peu de la flânerie. Par quelle pièce commencer? Quelle œuvre est la première ou la dernière? Si «(I am) Mike» n’apporte pas de réponse claire, une photo est, à n’en pas douter, la clef de voûte du projet artistique de Declercq.
Presque oubliée à côté de la porte d’entrée de la galerie, un autoportrait de l’artiste donne les grandes lignes de ce que l’on va voir : un homme, appareil photo en main et revolver sous le bras, le visage caché par la blancheur du flash et une inscription, comme un tampon apposé sur son faciès : «Mike».
Espion ou terroriste? Bon ou méchant? Tout en usant des lieux communs des romans de gare, Declercq les détourne. Mis entre parenthèses (comme quoi les titres des expositions ne sont pas fortuits), le subjectif disparaît au profit de ses traces. Des détails, des objets, des lieux dont l’identification tient beaucoup aux noms dont le photographe les a affublés. Du nouveau roman visuel, en somme.
L’essentiel des photos s’amoncelle sur un mural : une petite dizaine d’entre elles compose un kaléidoscope étrange des États-unis. Les mythes du catastrophisme et de la sécurité à outrance y sont tous convoqués: des hommes en tenue de protection contre les radiations nucléaires, le siège du FBI, une mallette pleine d’euros offerte par un inconnu au regard du visiteur et surtout l’ombre d’un avion, etc.
En parcourant l’exposition, on a le sentiment de filer un suspect ou plutôt d’être à la remorque d’un enquêteur. Avec un temps de retard que l’on ne parvient jamais à rattraper, notre regard capte les preuves d’un événement qui échappe. Jusqu’au cliché décisif. Un plan large de New York, une plongée sur le World Trade Center et une année, 2001. Peut-on faire plus clair?
Artiste touche-à -tout, Declercq s’essaie avec bonheur au cinéma. La vidéo diffusée au sous-sol annonce des lendemains cinématographiques chantants. Les cassettes d’une planque se succèdent. On pense à Robbe-Grillet et à ses ambiances où le familier le dispute à l’ambigu. Il ne serait pas étonnant de le retrouver sur un plateau de cinéma d’ici peu.
Bizarrement, la force de «(I am) Mike» est aussi sa faiblesse. On imagine mal ces œuvres exister par elles-mêmes, hors de la concomitance. L’exposition est un tout: la vente d’une pièce revient à l’esseuler. Une photo biaise pourtant ce devenir aussi fragile que tragique. Mike White Plume est d’une beauté troublante: un bleu nuit dont la densité rend difficilement reconnaissable le protagoniste. À regarder de plus près, on croirait apercevoir un petit éros, un chérubin tombé du ciel. Alors que «(I am) Mike» n’est que (brillamment) éphémère, Mike White Plume restera. New York méritait bien qu’un ange se penche sur ses plaies.