Les souvenirs funestes du nazisme qui hantent ces travaux (affiches de propagande, officiers, croix gammées, barbelés et miradors) côtoient de multiples attributs de la mort et des conflits armés : chaise électrique et guillotine, avion de chasse et masques à gaz. Un terrain de violence où s’associent au combat les sujets menaçants qui peuplaient les productions antérieures de l’artiste : demoiselles de charme mutilées, mâchoires animales, aigles et requins, crânes et squelettes.
Manipulateur habile de sources iconographiques hétérogènes, Damien Deroubaix s’adonne à un vaste recyclage d’icônes, d’imagerie médiatique, de codes publicitaires et de références culturelles, qu’il ordonne selon le mode de la confrontation et de la superposition. Le recours privilégié à la technique du collage s’illustre par exemple dans l’exposition par un emprunt répété au célèbre photomontage Hitler le Surhomme (1932) du dadaïste allemand John Heartfield, figure tutélaire appropriée pour Damien Deroubaix, que Louis Aragon saluait comme «le prototype et le modèle de l’artiste antifasciste».
L’énergie sauvage qui émane des images de l’artiste est parfois nuancée par des associations déroutantes ou absurdes avec les signes linguistiques tracés en épaisses capitales d’imprimerie au sommet de la feuille ou à l’intérieur de bulles. L’efficacité graphique de ces titres-légendes — qui pointent notamment la proximité de l’œuvre avec le genre de la bande-dessinée et des comics —, tend généralement à désamorcer l’atmosphère pesante de la scène par une touche d’humour noir ou de tragi-comique, comme dans le cas du cortège de squelettes musiciens, échappés du film culte de série B «Jason et les Argonautes», qui défilent sous l’injonction moderne Werbung (publicité). De même, les moyens d’expression désuets de l’aquarelle ou de la pyrogravure investis par Damien Deroubaix créent un décalage avec la tonalité générale de son art.
L’esthétique «gore» et «trash» de l’artiste trouve à s’employer pour le mieux dans les dessins sur papier, à la surface desquels coulures, repentirs et arrière-fonds poisseux se répandent en un joyeux chaos maîtrisé, marqué par un parti pris d’inachèvement. Il en va autrement de son passage à l’objet, qui donne lieu à une surenchère d’effet quelque peu ostentatoire. Pour preuve, la pièce Biblebasher, dont les deux carcasses de bœufs proéminentes renvoient à la peinture de Francis Bacon, lui-même inspiré du Bœuf écorché de Rembrandt.
L’application formelle et la préoccupation pour l’accrochage de Damien Deroubaix s’exhibent d’avantage encore dans la salle au sous-sol de la galerie. Derrière un imposant panneau publicitaire en bois portant l’inscription Death, un ensemble de dessins et de gravures sur bois de différents formats prolifère sur le mur du fond, éclairé de la lumière blafarde d’une rangée d’ampoules peintes en noir suspendues le long d’un fil au devant de la scène. L’accrochage se complète d’un sac plastique, d’une affiche de concerts et de t-shirts qui viennent combler les zones laissées vides. Ce dispositif d’installation accroît le télescopage des registres de sens et imprime un rythme dynamique de lecture des images. Il évoque facilement le souvenir d’une chambre d’adolescent pleine d’objets de dévotion et de posters punaisés aux murs. Une chambre, où résonnerait le son rageur du Grind, genre musical issu du rock Métal dont les modèles esthétiques, l’engagement idéologique et les noms de groupes tels que Napalm Death, Carcass, ou Morbid Angel, alimentent si puissamment l’art désenchanté de Damien Deroubaix.
Damien Deroubaix :
— Biblebasher, 2005. Aquarelle sur papier, carcasses en silicone, ampoules peintes et barrière de protection, équerres. 246 x 154 x 76,5 cm.
— Macadam Circus, 2005. Aquarelle et collage sur papier. 150 x 200 cm.
— Porcherie, 2005. Aquarelle et collage sur papier. 150 x 200 cm.
— United, 2005. Aquarelle et collage sur papier 150 x 200 cm.
— Porcherie, 2005. Gravure. 150 x 200 cm.