Dans la salle lumineuse et blanche du rez-de-chaussée, deux couples de stèles plates et verticales, d’albâtre couleur crème aux délicates veinures sombres (Presentation Windows), font face à un alignement de sept carrés de carbone, dont le noir, à la fois profond, brillant et parfaitement uniforme, est zébré de fulgurances discrètes (Lightning Serie).
Ce n’est que par hasard que l’œil détecte les graffiti miniatures : des mots finement gravés dans l’albâtre, d’une si minuscule écriture que la plupart en sont indéchiffrables. C’est la main encore qui, par soustraction délicate, a éclairé les fenêtres de carbone d’éclairs gris déchirant leur nuit d’encre.
Ces paradigmes photographiques de l’indice, trace ou empreinte, et du négatif/positif, sont comme cristallisés dans la troisième installation. Sur une grande surface de papier-carbone posé à même le sol, sont disposées, apparemment de façon aléatoire, des boules d’une craie parfaitement blanche. On devine les points de contact entre les deux formes, plan et sphères, les deux minéraux, craie et carbone, et leurs deux valeurs contraires, comme autant de points d’un improbable équilibre.
Au sous-sol, plongé dans l’obscurité totale, est projeté un film dont un vénérable vieillard de 87 ans est le héros. Élevé au rang de Trésor Humain, distinction qui célèbre les meilleurs représentants des arts ancestraux japonais, M. Sensaku Shigeyama est le chef de file d’une des deux grandes familles dépositaires de la tradition du théâtre Kyogen : une sorte de farce qui venait couper, et divertir, les drames des représentations Nô.
C’est cet étrange statut de Trésor Humain qui a intéressé l’artiste. Le film l’est tout autant. Des 15 minutes de sa durée, une bonne moitié est consacrée au petit-déjeuner que M. Shigeyama partage quotidiennement avec son épouse dans un grand hôtel de Kyoto.
La barrière de la langue, les bruits ambiants, et un cadre qui enchaîne les plans fixes, desquels s’échappe l’essentiel, mais où se glissent de menus fragments du hors-champ (un mariage dans les jardins de l’hôtel, une femme de ménage qui essuie les rambardes extérieures, le ballet des serveurs), instaurent une distance qui rend plus abrupt encore le passage sans transition du maître sacralisé, objet de toutes les attentions, à sa métamorphose en un animal mi-simiesque, mi-canin, poussant des cris étonnants, entre folie et bestialité. La pluie tombe, l’eau coule dans les jardins, mêlée au ronronnement du projecteur, qui finit par emporter cette curieuse fable, gravée dans la pellicule d’un film 16 mm.
Cette exposition de Tacita Dean, qui ouvre la saison chez Marian Goodman, toute en fragile tension, est un exercice d’équilibre subtil et sensible sur l’arête ténue qui sépare visible et non-visible, l’envers et son décor. Ces propositions minérales et minimales fendent, l’air de rien, le glacis des apparences, et des certitudes.
Tacita Dean
— The answer came before the question, 2007. 16 photographies peintes. 12,5 x 8,7 cm chacune. Cadre 56 x 71 cm.
— Presentation Windows, 2005. Pierre d’albâtre blanche en quatre parties. 2 parties en 115 x 56 cm chacune et 2 parties en 102 x 35 cm chacune.
— Lightning Series I-VII, 2007. 7 dessins sur papier carbone. 70 x 70 cm chaque.
— Chalk Balsl, 2006. Papier carbone, monté sur papier, boules de craie. 220 x 220 cm.
— Human Treasure, 2006. Film couleur 16 mm, son optique, 15 min.