Les réalisations de Lionel Estève sont aussi discrètes que fragiles. Travaillant sur l’équilibre, le jeune artiste propose un florilège de découvertes et de pistes différentes. Il reprend ses travaux commencés il y a dix ans. Il en propose des variations. Il occupe les trois pièces de l’impasse Saint-Claude pour imposer un style qui a l’élégance d’apparaître et de disparaître.
Il se propose d’éduquer notre regard. Le spectateur est invité à scruter à la loupe ce qui l’entoure. Que ce soit de la dentelle, du papier, du plastique, de la plume, des pierres ou du métal l’exploration précède toujours la compréhension. Les œuvres ne se découvrent pas spontanément. Il faut prendre le temps de les apprivoiser, de les soupeser.
Les trois blocs de l’exposition tournent autour de sculptures qui s’imposent par leur modestie. Le mouvement y occupe une place de choix. L’art cinétique flirte avec l’Op art. Chacune des œuvres brille dans le firmament dressé par le chef d’orchestre. Une multitude d’inventions se bousculent. Un oulaoup jaune fluo tournoie sur place. Il lévite. Un cerceau métallique descend et remonte du plafond. Sa contorsion délivre une plainte agitée et cristalline. Un bouquet de plumes d’autruches roses se soulève grâce à de l’énergie électrostatique. Une marre de pierre saucissonnée de fils jonche un socle, telle une pluie de météorites.
Il y a quatre ans que Lionel Estève travaille sur ses sculptures électrostatiques. Il attendait l’occasion de les montrer. Il aurait pu le faire bien avant, mais il voulait un endroit et une occasion particulière pour le faire. L’expérience qui se tient au Palais de Tokyo, Chizhevsky Lessons, de Micol Assaël fait se dresser les cheveux sur la tête des spectateurs. Le procédé consiste à ioniser l’atmosphère à l’aide de plaques de cuivre. Un système analogue est en place ici.
Dans How to Lie, ce sont les fils de plumes d’autruches qui remplacent les cobayes volontaires. Pas besoin de signer une décharge pour entrer dans la pièce, mais un cartel invite à la prudence. Personne cardiaque s’abstenir. Possesseur de pacemaker passez votre chemin. Sur un socle blanc trône un saladier en inox polie, d’où sort un palmier rose au pelage feutré.
Au sol, un périmètre délimite une distance de sécurité, pour éviter que votre palpitant ne s’emballe. Le résultat est de la discrétion pure. Seules quelques branches rosées se soulèvent de la nervure de la plume. L’agitation se produit en périphérie des palmes roses.
L’autre sculpture cinétique est un oulaoup jaune tenu par un fil. Actionné par un mini-moteur l’anneau fluo tourne tout seul. Aussi impressionnant que les anneaux de Saturne, ce ballet improvisé et improbable se déroule sans accrocs. Cette révolution privée de son astre s’amuse à faire tourner les étoiles des yeux du spectateur hypnotisé par la valse.
Le champ d’astéroïdes se transforme en traînée de poudre. Il laisse percevoir la queue d’une comète intersidérale et infinitésimale qui met en apesanteur l’espace blanc de la galerie.
Le mouvement n’est pas que résonance visuelle. La preuve ? Ce cerceau métallique qui s’amuse à grimacer en faisant le yoyo. Il descend et il remonte grâce à un petit moteur. Les aller-retour le transforment, le plient. Pris de convulsions, il hulule. Par salves successives ou par rafales, des sons sortent de son estomac vide. La chambre à air rigide et métallique déglutit comme une cornemuse moribonde abandonnée sur la chaussée. Cette valse d’airain produit un son de verres entrechoqués. Le même que l’on obtient en trimballant une caisse de bouteilles consignées.
Le mouvement peut être emprisonné, mis sous cloche, sous vide, à l’abri derrière une vitre anti-uv. C’est le cas des nouveaux dessins à franges. Visuellement, ils se situent entre le fleep book et la banane épluchée. Les rangées de dessins pastillés d’autocollants ronds débordent comme les fleurs d’un vase. Ces paquets de tickets accrochés les uns aux autres tombent comme des pétales, ils dressent des nuanciers diaphanes.
La dernière pièce expose treize pierres calcaires ficelées à la main. Les nœuds deviennent des nervures où se reflète la lumière. Les roches forment une constellation échouée sur terre. Ce mini jardin zen reconstitue un système solaire à lui tout seul. Entre microcosme et macrocosme, ces pierres dressées évoquent la force de l’univers. Entre cosmogonie et panthéisme, ces rets lumineux dressent un filet captant et dérivant.
Dans l’exposition il ne faut pas oublier de lever la tête. A l’entrée un cube coloré filtre la lumière et projette sur les murs ses faces colorées. Il y a encore cette grosse boule blanche dont il ne reste que les arêtes. Aussi grosse qu’un gros ballon de basket elle a l’apparence d’une maquette d’un corps chimique. Elle rappelle les cours de sciences du lycée et les jeux d’assemblage. Ce cristal modélisé se balance comme un mobile. Il flotte et se confond dans la blancheur de la verrière. Il est aussi présent qu’invisible, un peu comme les œuvres de Lionel Estève.
Lionel Estève
— Hollyhock Leaf, 2009. Dentelle, encadrement. 31,4 x 26,3 x 5,2 cm
— Red Green Monochrome, 2009. Papier, pastilles de papier, encadrement. 76,4 x 76,4 x 8 cm
— Night and Day, 2009. Feuille de plastique, peinture, encadrement. 97,5 x 97,5 x 5,5 cm— Carnivorous Feathers, 2009. Plumes, matière plastique, pastilles de papier, générateur Vandergraaf, timer, détecteur de mouvement, bois. 198,5 x 87 x 87 cm
— One Eclipse, 2009. Plexiglass, système d’éclairage. 25 x 25 x 25 cm
— Picture opened to Prism, 2009. Feuille de gélatine, pastilles de papier, encadrement. 79,8 x 112,1 x 12,2 cm
— The River at Night, 2009. Pierres, fils à broder. Dimensions variable selon l’espace