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Hôsôtan

Hijikata Tatsumi avait cessé de créer depuis L’Insurrection de la chair en 1968, sa première et dernière pièce en solo qui le consacrait comme l’icône de l’avant-garde japonaise alors inspirée de l’existentialisme de Sartre, Bataille et Artaud.
L’initiateur du mouvement du “corp obscur” ou de la “danse des ténèbres” — une des traductions possibles du bûto, également compris comme une danse importée, ou plus précisément une digestion japonaise de la danse expressionniste allemande de Mary Wigman — amorce son œuvre d’“antidanse” et d’“expérience” en 1959 avec Couleurs interdites, spectacle dans lequel il sacrifie un poulet. Mis au ban de la “danse moderne”, l’impudent attire l’attention de Donald Richie, cinéaste et critique américain qui tourne alors un film sur lui : Sacrifice. En 1970, marqué par le seppuku (sacrifice) de Mishima pour une restauration des valeurs traditionnelles niponnes, Hijikata remet le pied à l’étrier en s’intéressant aux folklores des paysans du nord du Japon, dont il est originaire.

Hôsôtan, l’histoire de la petite vérole — en référence au dieu de la variole Hôsôgami — est justement l’une de ses pièces consacrées aux folklores japonais, premier volet des Vingt-sept soirs pour quatre saisons de 1972.

Le film débute par le croassement d’un corbeau dans l’obscurité. Hijikata émerge du néant de la scène obscure. Son pied heurte violemment le sol. L’onde de choc retentit. Une goze — chanteuse itinérante traditionnelle — entame une mélodie. L’homme marche maladroitement et mime les défaillances d’une verticalité empêchée par des articulations en apparence fragiles et douloureuses. Courbé comme un vieillard, il cumule l’énergie au centre de son corps, dans le hara.

Le vent, la pluie qui tombe et les sabots des chevaux composent une suite de paysages sonores changeants. Les mouvements puisent leur origine dans la force du sol. Le son d’une cavalerie retentit parfois. Sur un fond blanc, huit êtres recourbés, de “vent vêtus”, selon les termes d’Hijikata, reprennent de profil des citations gestuelles tronquées du Faune de Njinsky. A travers la qualité de ce magma, l’on perçoit l’exigence de renoncement bouddhiste de l’ego d’Hijikata, pour une fusion dans l’Un, le Tout et le Soi.

Plus tard, le costume traditionnel est troqué pour une peau déchiquetée. Sur un air de valse, les corps s’effondrent. Trois danseurs bossus semblent s’extraire du sol avec difficulté. Parfois les corps roulent. La prééminence du sol (frappé en cadence), le corps recroquevillé rappellent les principes de la danse expressionniste allemande. Les chutes se répètent. La verticalité n’est jamais tenue.

Un tableau animé par des souffles d’entités lointaines fait place à un solo d’Hijikata d’une grande intensité. La naissance scénique de la conscience de Soi évoque la notion de corps inaugural de Grotowski, du “corps-vide”, prompt à l’accueil et aux souvenirs d’autres identités. Selon Lafcadio Hearn, dans Ecrits sur le bouddhisme japonais (1) le “corps-vide” serait “une des conditions élevées de l’entité”.

Le dernier tableau, silencieux d’abord, anime cinq personnes debouts, la tête rivée au ciel, la bouche ouverte. Ils avancent de droite à gauche telle une fresque mouvante. Les autres jonchent le sol, rampent et se traînent. Les corps sont mus par une organicité collective crispée, vrillée en soi. La souplesse permettant la vitesse est absente : le corps ne peut fuir, n’est plus apte à sa survie. Sur une musique de voix féminines un peu kitsch, plusieurs danseuses tentent de s’accorder sur une même variation chorégraphique. La difficulté provoque une danse tragique aux accents Bauschiens avec en plus cette impression de lucidité somnanmbulique connectée au Moi profond.
Se répand spatialement durant tout le film comme l’onde souple d’une intériorité enfouie animée certes de convulsions et de crispations, mais au final esthétiquement libérée.

— Date de création : 1972
— Durée du film : 1h31. Noir et blanc.
— Interprétation : Tatsumi Hijikata et sa troupe.

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