A la mi-février, pendant une semaine, avait lieu Hors Saison, le rendez-vous danse d’Arcadi. Plusieurs espaces de création et de diffusion de spectacle vivant à Paris et en Île de France accueillaient les œuvres de seize chorégraphes: un week-end riche en découvertes à la Ferme du Buisson, des pièces au Théâtre de la Cité Internationale et au Centre des bords de Marne et enfin deux soirées au Théâtre de Vanves, épicentre, jusqu’à fin mars, de la 12e édition du festival Artdanthé.
Placée sous le signe de ces deux manifestations, la programmation du 12 février proposait le solo de Gaël Sesboué, An Selm et la pièce pour six interprètes de Martine Pisani et Martin Nachbar, One Shared Object Profit and Loss.
Vincent Dunoyer et Anne Teresa De Keersmaeker ou Jérôme Bel et Cédric Andrieux avaient déjà abordé, les dernières saisons, le thème de la mémoire de la danse inscrite à même le corps. Gaël Sesboué le reprend à sa manière et signe un solo où il revient sur son expérience de danseur auprès de Geisha Fontaine et Pierre Cottreau, Christian Rizzo, Tamara Stuart-Ewing ou Christian Bourigault. L’interpellation directe, la prise de parole du danseur ou la mise en abîme très savamment amenée laissent ici place à une certaine immédiateté qui obscurcit le propos.
Martine Pisani et Martin Nachbar se livrent à un exercice de création marqué par la volonté de co-signer une pièce tout en légèreté, où deux identités chorégraphiques se rencontrent autour d’un penchant vers la dimension ludique du mouvement.
Pour Martine Pisani, ce projet s’intègre de manière cohérente à la série Running Times, un cycle de travaux sur la thématique du temps, démarré en 2007. C’est la figure du Kairos – concept de la philosophie classique grecque, renvoyant à une dimension du temps tout autre que la linéarité de Chronos, créant de la profondeur dans l’instant – qui se retrouve au centre de la scène, avec ses pendentifs, la perte et la transformation. La construction appliquée, laborieuse, parfois absurde, plusieurs fois détruite et recommencée, d’un dispositif qui pourrait être défini comme sa matérialisation, culmine avec le déchaînement intempestif et gratuit d’énergies qui portent la danse vers un moment paroxystique.
Mais la proposition la plus saisissante, faisant littéralement irruption dans la programmation, est signée par Les gens d’Uterpan. Lors de l’édition 2009 d’Artdanthé, ils ont gagné la liberté d’intervenir dans une soirée de leur choix, échappant à la prédictibilité du calendrier. Ils sont six danseurs – performeurs engageant le public dans un face à face qui vire au corps à corps : il s’agit d’un glissement progressif et contrôlé des danseurs par dessus les sièges et sur les corps des spectateurs vers le bas du gradin. La première fois, ils sont vêtus de leurs habits de ville, la seconde, ils sont nus. Au-delà de la réaction tantôt crispée – voire outrée – tantôt amusée du public, cette intervention met radicalement en question les relations qui régissent les limites du corps et de la représentation, une injonction – à fleur de peau, au poids même des corps – à de nouvelles « réflexions sur les modalités d’apparition, de production et de lecture de la danse ». Cet acte à valeur programmatique, ce manifeste, Annie Vigier et Franck Apertet, Les gens d’Uterpan, l’assument pleinement. On aimerait voir ces semeurs de trouble à l’œuvre plus souvent !
— Gaël Sesboué, An Selm. Solo.
— Martine Pisani et Martin Nachbar, One Shared Object Profit and Loss. Pièce pour 6 interprètes.
— Les Gens d’Upertan, Parterre.