La première approche des créations que présentent Angela Detanico et Rafael Lain dans l’exposition «Horizon vague» est sibylline, dans une scénographie épurée commençant dans l’étroitesse d’un couloir avant de s’élargir dans une grande pièce où le sujet devient évident.
Angela Detanico et Rafael Lain développent depuis des années une démarche créatrice à travers laquelle ils font dialoguer le langage et l’image. Leur association, au-delà des multiples enjeux qu’elle suppose, leur sert à nourrir une création qui interroge en priorité les liens entre espace et temps.
Ils utilisent ainsi les formes du langage comme un alphabet dont ils font une échelle de valeurs, un système organisateur.
La pièce intitulée Horizon est un assemblage d’objets identiques, des règles graduées en inox d’environ un mètre chacune. L’alphabet tout entier est sérigraphié sur chaque règle en lettres noires majuscules. Accrochées au mur les unes contre les autres, les règles sont néanmoins accrochées à différentes hauteurs. Les décalages qui se forment alors permettent, par le rapprochement des lettres sérigraphiées sur chaque règle, de créer un mot à l’instar de certains jeux comme «Le mot mystérieux». Ce mot, qui n’est autre que le titre Horizon est alors presque noyé dans la masse des lettres qui l’entourent et parmi lesquelles il est tentant de chercher d’autres mots.
Pour la pièce intitulée Dispersion, le titre est écrit en lettres de vinyl adhésif noir sur le mur. Ce mot est réécrit mais selon des écarts différents entre les lettres qui créent une dispersion formelle de l’écriture. Le mot «dispersion» joue alors à devenir lui-même l’action qu’il décrit au point d’y perdre sa fonction de mot écrit. Pour ces deux pièces donc, la lisibilité se noie dans la répétition.
Pour la vidéo Wave Horizon, l’écriture est pensée comme une partition construite en fonction du temps, de l’écoulement des secondes. Composée de différentes formes géométriques (arrondies ou triangulaires) représentant chacune une vague, cette vidéo se regarde et se lit au rythme des ondes sonores qui elles-mêmes s’écoutent au rythme des vagues des compositions visuelles qui s’égrènent sur un double écran dans une parfaite synchronisation.
Pour la double vidéo Black See Selected et Black See Flat, ce sont les fonctions basiques de l’image qui se voient manipulées. Réduite au format minimum, une photo de la Mer Noire est ré-animée par les outils présents dans Photoshop. L’image est ainsi étirée au point d’être méconnaissable entièrement constituée de lignes noires et blanches plus ou moins épaisses donnant de surcroît l’impression de glisser sur l’écran comme les soubresauts d’une vidéo abîmée.
Dans l’autre version, les pixels noirs sont recherchés et entourés par le logiciel et donnent là encore un effet de glissement de formes géométriques sur l’écran bien que, cette fois, il soit possible de reconnaître le paysage.
Cette double pièce crée une tension dans une image fixe suggérant le mouvement par les effets informatiques produits. Elle représente dès lors une phase d’attente, un temps suspendu mais troublant par l’illusion de mouvement dont le traitement de l’image est porteur.
La majorité des travaux présentés utilise et détourne les codes du graphisme et les différentes formes de langages, de communications. Ce travail entremêle le langage et des éléments divers avec une rigueur scientifique lui permettant de relier différents systèmes de représentation et leurs différentes logiques. Il se joue du langage pour mieux le manipuler, le contourner, le penser.
Les travaux d’Angela Detanico et Rafael Lain permettent une réflexion sur les rôles du langage et ses fonctions. Ils en rappellent la double valeur formelle et conceptuelle, sa capacité à tisser les liens de la communication, mais aussi ses limites. En repensant et reconfigurant des éléments organisateurs (comme les logiciels informatiques, les partitions, etc.) ils en perturbent les fonctions usuelles. Par les effets de répétition et de manipulation des signes de l’alphabet et des images, ils déstabilisent les habitudes de lecture et la posture du regardeur.
Le visiteur développe un rapport aux œuvres essentiellement empirique dans une première approche. Il reste ainsi très libre dans son interprétation et donc sa réappropriation des pièces qui composent cet «horizon vague», paysage marin certes, mais surtout brouillé, flouté par les différentes manipulations plastiques qu’il subit. Ce traitement rend d’ailleurs le thème du paysage très discret, difficilement identifiable, comme décalé de lui-même.
Ces démarches formelles interrogent la position du corps du visiteur dans l’espace d’exposition dans sa confrontation aux œuvres. Elles interrogent aussi les limites qu’impose le réel, objet concret concrètement irreprésentable. Un objet toujours soumis à un mode de langage l’interprétant sous forme de convention qui souvent le simplifie, le détourne, le déplace.
Le réel est typiquement impossible à reproduire malgré le fantasme scientifique du clonage. Cette exposition s’en saisit donc pour le projeter aux frontières de l’aporie et rappelle la modestie de rigueur pour le plasticien dont le rôle essentiel consiste à offrir son regard et non l’objet qu’il regarde.
— Angela Detanico/Rafael Lain, Wave Horizon, 2010. Animation n&b en double projection, son boîte avec notation des temps, 215 760 secondes en boucle.
— Angela Detanico/Rafael Lain, Wave Horizon (White Noise), Wave Horizon (Sine), Wave Horizon (Saw), Wave Horizon (Triangle), 2010. Animation n&b en double projection, son boîte avec notation des temps, 53 940 secondes en boucle.
— Angela Detanico/Rafael Lain, Black See (Selected/Flat), 2010. Animation n&b, diptyque, boucle.
— Angela Detanico/Rafael Lain, Dispersion, 2010. Vinyl adhésif noir. Dimensions variables.
— Angela Detanico/Rafael Lain, Horizon, 2010. Sérigraphie sur inox. 167 x 28 cm.
— Angela Detanico/Rafael Lain, Vague, 2010. Texte composé en wave form, sel. 170 x 500 cm.
— Angela Detanico/Rafael Lain, Microwave, 2010. Pochoir en plexiglas. 25x 10 cm.
— Angela Detanico/Rafael Lain, Tout Rien (Pilha), 2010. Gommes noires et blanches empilées. 26 x 21 cm.
— Angela Detanico/Rafael Lain, Enigme, Idée, 2009. Encre de chine sur papier. 43 x 34 cm chacun.
— Angela Detanico/Rafael Lain, Mebsuta, Adara, 2007. Texte composé en helvetica concentrated, impression jet d’encre sur papier, verre sérigraphie. 40 x 40 cm.