Pour sa première exposition en France depuis la rétrospective que le Centre Pompidou lui a consacrée il y a trois ans, Nan Goldin choisit de poursuivre ses tentatives de saisissement de l’intime à travers ses deux modes de présentation de prédilection, l’accrochage photographique « composé » et le diaporama sonore. Ces deux mises en œuvre s’inscrivent distinctement dans l’espace de la galerie comme deux pistes envisagées, qui se scindent à la fois dans les choix des sujets mais aussi dans celui des cadrages et des atmosphères.
D’une part, répartis sur deux salles, une sélection de grands tirages aux teintes et lumières subtiles, exposés de manière à se répondre en déroulant leurs liens biographiques implicites, témoigne d’un travail photographique élaboré, pensé dans ses moindres détails.
De l’autre, projetés sur le mur, des portraits d’adolescents se succèdent, l’artiste nous plongeant dans une obscurité où la musique, puissante, vient soutenir des images parfois très crues mais tout juste aperçues, puisque prises dans l’évanescence de la projection diapositive.
En somme, ce qui fait la singularité du travail de Nan Goldin — une photographie frontale, sans complaisance, mais n’évacuant pas pour autant toute humanité ni toute notion de « beauté » — semble ici se radicaliser et s’éclater définitivement en deux pôles, avec, d’une part, la dureté de l’adolescence, et, de l’autre, le réconfort du cercle familial.
Conséquence, si le diaporama, à diverses occasions, suggère avec une justesse troublante la nature complexe de ces jeunes adultes — on pense notamment à la série consacrée à son neveu Simon, l’enfant devenant au fil des ans jeune homme mystérieux tandis que le corps se transforme — l’ensemble se donne à travers une intensité inégale.
Bien sûr, lorsqu’elle suit une adolescente de Brooklyn, ou ces jeunes hommes prostitués de Bangkok et des Philippines, Nan Goldin nous confronte, comme elle sait le faire, à une réalité violente laissant cependant poindre les sentiments mêlés sans les caricaturer. A l’inverse, la sensation de superficialité de certains clichés de cette top-model devenue amie, et plus généralement l’inutile redondance de certaines prises floues ou décadrées, tendent peut-être à vider le diaporama de sa force première, celui-ci renouant difficilement avec la véracité brute et sensible des séries antérieures.
Parallèlement à cela, les photographies accrochées dans les deux salles dévoilent des intentions diamétralement opposées, l’œuvre de Nan Goldin se tournant manifestement vers une photographie plus apaisée, parfois presque nostalgique, même si la vitalité de l’enfance y trouve une part importante. Les images de ses proches, parents, filleuls, de son amant égyptien, s’auréolent en effet d’une lumière à la fois douce et fraîche, amenant une forme de sérénité inédite, au risque de paraître parfois quasi conventionnelle. De fait, les moments de repos, les visages pensifs, les corps allongés alternent avec des paysages aux nuances séduisantes, certaines pièces évoquant directement le caractère pictural de l’ensemble.
Le temps passant, il semble finalement que les photographies de Nan Goldin aient elles aussi suivi une inévitable transformation. Les « tableaux » que nous présente l’artiste soulignent ainsi le long parcours photographique dont ils sont issus, fruits d’une gestation de plusieurs décennies.
D’ailleurs, comme pour mieux nous rappeler le chemin déjà parcouru, des portraits de Drag-Queens réalisés à l’âge de dix-huit ans sont également exposés dans la galerie. Et paradoxalement, ce sont peut-être ces petits formats noir et blanc qui retiennent le plus notre attention, les visages et les corps se donnant avec une conviction qu’il semble délicat de pouvoir égaler, tant ils semblent défier le regard, tant ils semblent avoir à dire aujourd’hui, encore.