Le titre du duo formé pour ces deux soirées par Maroussia Vossen et Hélène Marquié se réfère sans doute à La Belle excentrique d’Erik Satie dont la musique unique, pour ne pas dire géniale, débute et conclut la représentation — une version populiste et poétique à la fois, arrangée à l’accordéon, du standard gymnopédique vient enjoliver le finale de la performance.
Bien sûr, les deux danseuses sont, elles aussi, atypiques. Hélène est une garçonne aux cheveux courts qui arbore un bref t-shirt à balconnet et un pantalon unisexe des plus stricts, au pli repassé comme il faut. Elle a visiblement été formée à la danse contemporaine mais aussi au classique (cf. le passage sur un air de valse triste où elle pastiche ironiquement le vocabulaire romantique). Elle pratique non seulement la danse mais aussi l’acrobatie, la clownerie, le théâtre au sens large — elle a le sens du spectacle et se permet d’intervenir bruyamment, en pleine action, donnant de la voix, encourageant sa partenaire ou la maudissant d’interjections faussement courroucées.
Sa manière est forte, gymnique, sportive. Elle n’hésite pas à tenter des roulades arrière, à mettre en vedette l’extrémité de ses orteils après avoir, littéralement, fait les pieds au mur en exécutant un morceau de bravoure en forme de poirier. Par moments, aussi, elle semble bouder son plaisir ou celui du spectateur auquel elle tourne ostensiblement, assez longuement le dos. Bref, Hélène Marquié a tout, en apparence du moins, de la gaie luronne.
Maroussia Vossen est lunaire. Sa danse, toute en légèreté, emprunte à la pantomime, à la gestuelle isadorienne, à la pose des stars du muet et, consciemment ou pas, à celle du voguing. Son visage est langage. Le travail des bras et, surtout, celui des mains, la finesse et la qualité expressive de ses dix doigts ne détonnent pas dans le temple védique Mandapa, entièrement voué au mudra.
Son air mutin et le casque de cheveux frisottés à la mode d’autrefois lui donnent un look « années folles ». On s’attend à tout moment à la voir débouler dans un charleston endiablé et l’on ne saurait s’étonner, par conséquent, de son goût immodéré pour le jazz et la musique syncopée en général (cf. le collage sonore de ce gala d’exception, avec des morceaux de Anton Arenski, Mayer Barouh, Sylvain Kassap). Sa longue marinière à rayures, ornée d’épaulettes précieuses et pierreuses, son pantalon soyeux tombant bien, flottant au rythme de ses petits pas et de ses demi-pointes, lui donnent de l’allure. Vraiment. Maroussia est altière, mais jamais hautaine.
Le T-Women-show présente d’abord une longue séquence d’observation, le temps nécessaire à un échauffement qui relève plus du face-à -face que de la confrontation réelle ou de la tentative de séduction. Les deux artistes sont immobiles, quelque peu minaudes, assises sur de vulgaires cubes en bois. Elles s’expriment par des gestes de bras, d’infimes torsions de poignet, des sourires entendus, d’imperceptibles battements de cils. Toutes deux ont quelque chose de spirituel, de comique, de drolatique. On sourit d’ailleurs plus qu’on ne rit aux éclats de cette dialectique bouffonne, de cette rivalité mimée, montée en épingle, de leur rôle — interchangeable — de clownesse blanche et d’augustine.
Chacune a droit à sa variation, à un solo la mettant en valeur, à un moment de cabotinage, sous une forme ou sous une autre. Hélène Marquié cherche à marcher à l’horizontale, sur ou contre le mur, côté jardin ; Maroussia Vossen prend le temps de tourner autour du pot (cf. son numéro en free style sur la chanson de Gainsbourg
Intoxicated Man). Chacune est dans la peau de son personnage. Et dans son quant-à -soi. La première claque gauchement des doigts pour annoncer le tube Fever chanté par Peggy Lee. La seconde arpente l’estrade en sautillant et en ondulant des bras. L’une est terrestre, parfois même atterrée, l’autre, éthérée. Le pas de deux conclusif se déroule en douceur. L’une a regagné la cour alors que l’autre reste dans la place. En silence. Dans le noir.