Le Centre Pompidou possède une riche collection de dessins, projets et objets offerts par Sottsass à la France. Mais, curieusement, la célèbre Valentine, conçue en 1969 — année érotique — avec l’aide de Perry A. King, emblème de son œuvre et de l’expo, dont le prénom rappelle la chanson de Maurice Chevalier, la fête des amoureux que célébra bruyamment, à sa façon, Al Capone en 1929 et aussi, une célèbre marque de peinture, n’est pas exhibée ici en tant que telle, comme produit fini mais comme aplat lithographique ou comme bas-relief thermocollé. On a sans doute dû égarer (ou prêter ?) l’ « original » acheté par le Centre en 1994.
La perfection d’un objet tel que cette mythique bécane dactylographique tient à peu de chose : à une idée simple, à une matière nouvelle, à un look inattendu. Le fait de fixer une poignée au corps de l’objet, et non plus à sa mallette, de souligner cette prothèse pour signaler ainsi la mobilité ou la portabilité de la chose, de la réaliser en ABS « moulé par injection », de lui donner l’apparence d’un bolide de course en la recouvrant d’une pellicule rouge Ferrari Corsa 322 D.S. (teinte voisine de celle la Tornado de Volkswagen) situent d’emblée l’œuvre de Sottsass dans l’univers des sixties les plus pop.
Designer consultant chez Olivetti à partir de 1958, Sottsass participe à la création du premier ordinateur italien Elea 9003 et imagine nombre de modèles de machines à écrire ou à calculer : Tekne 3, Praxis 48, Divisumma 26, Synthesis 45, etc. Comme ses autres collègues dessinateurs industriels, il ne réussit pas tout. Loin de là . Sa machine à écrire Praxis 48, 1964, par exemple, paraît assez mastoc. Mis à part son guide pour papier d’une seyante couleur orange, la calculatrice électrique Divisumma 26, 1965, est on ne peut plus rudimentaire et n’a pas la finesse de la Summa 19, 1967-1972. Ses pendants, bagues, colliers, broches et bracelets, 1964-68 sont trop rustiques, selon nous, ne serait-ce que comparés à ses ustensiles de cuisine, huilier, vinaigrier, salière, poivrier, 1978, aux formes rassurantes étonnamment proches des productions du Bauhaus. S’il conçoit très tôt, dès 1957, des vases sobres et assez bien « tournés », à bandes horizontales de teintes noires, bleues ou grises, on ne pas dire qu’avec ses faïences et ses céramiques de 1958-59, il arrive à la cheville du premier pique-assiette venu à Vallauris.
Après ses voyages chez les Indiens d’Amérique et d’Inde, Ettore Sottsass passe un cap esthétique. La deuxième moitié des années soixante correspond à son âge d’or. Sa lampe biface ou bichrome Astéroïde, un néon en forme de fer à cheval de 1968, sa chaise de dactylo Z9R de 1968-1973 ainsi que son siège empilable ZI synthesis 45 (1973) sont vraiment convaincants et, qui plus est, d’un bon rapport fonction/esthétique — ou crime/ornement, pour reprendre le couple antagoniste d’Adolf Loos. Son vase de la série Yantra de 1969, en faïence noire, en forme de X ou d’enclume, au goulot d’étranglement rappelant la fente d’une tire-lire (le mot convient en Italie, l’euro n’existant pas à l’époque) est d’une beauté remarquable. Ses objets de la série Indian Memory, cafetières, théières et autres tasses datant de 1972, sont à la fois épurés, aux bords arrondis et ludiques. Son très haut totem à six colonnes, Pilastro (1969), superposant des disques de céramique d’un mauve très sombre, destiné à son exposition de Stockholm, est un repère visible de loin et marque un tournant dans son œuvre. On est ici dans l’art pur, puisqu’on a perdu de vue toute notion d’utilité.
Durant les années baba-cool qui suivent, le designer se branche « land art », « art conceptuel », photo noir et blanc et redécouvre le charme de l’artisanat encore vivace en Italie. Grâce à lui, on assiste à un « revival » des arts décoratifs et notamment des objets réalisés par les maîtres verriers de Murano tels que Vistosi. Le designer joue avec une gamme infinie de couleurs teintant la pâte de verre soufflé pour réaliser des collages inimaginés jusque-là . Il continue ses empilements à l’équilibre instable et juxtapose des éléments à la fois fragiles et impérissables. Ce goût pour l’artisanat et pour la mise à jour du concept de « renaissance », il le confirme au tout début des années 80 en créant le groupe Memphis (nom inspiré d’une chanson de Bob Dylan, elle-même faisant probablement allusion à Memphis Tennessee et non à la déesse grecque ou à la ville de Basse-Egypte), pour s’essayer à l’utopie du travail créatif en équipe et oublier un peu celui, hiérarchisé, du travail en agence, avec son faux stress de la charrette permanente. Cette période est marquée par une percée sans précédent de ce qu’on a appelé le « Nouveau design », qui a succédé à l’« Anti design » italien, en Europe et sur le plan international et par nombre de créations optimistes et joyeuses : lampes, tissus, objets, dont le fameux meuble de rangement Beverly, 1981.
Amateur de traits d’esprit et de trait tout court, ce gaucher contrarié, architecte de père en fils (il a conçu par exemple la maison Wolf au Colorado en 1987-1989), n’ayant jamais cessé de dessiner avec son porte-mines, son Rotring et ses crayons de couleur, n’utilisant apparemment pas lui-même le DAO, cet archéologue du futur a toujours été fasciné par les vases de Sèvres ainsi que par les céramiques antiques, qui sont, comme il aimait à le rappeler, « plus vieilles que la Bible »…
Ettore Sottsass
— Poster thermoformé de la machine à écrire Valentine, 1969.
— Sautoir torque Collier, 1961. Or, corail, ébène et ivoire. 24 x 33 cm.
— vase Calice, 1959-1986. Céramique. 47 x 17 cm. Editeur Flavia Montelupo.
— Chaise empilable Zi, 1973. 75 x 55 x 55
— Vase de la série Yantra, 1969. Faïence. 20,5 x 29 x 20,5 cm.
— Machine à calculer Summa 19, 1967-72. 11 x 21 x 37 cm. Olivetti Spa.
— Bague, 1964. Or, corail et ivoire. 4,2 x 2 cm.