Thomas Grünfeld
Homey
La deuxième exposition personnelle de Thomas Grünfeld chez Jousse entreprise s’inscrit parfaitement dans son travail, tout en explorant de nouvelles orientations formelles qui viennent de loin. Elle s’intitule « Homey », ce qui signifie : accueillant, confortable, intime. Le mot évoque immédiatement le home, la douceur et la chaleur du foyer. Le même mot, dans l’argot américain, désigne un copain, plus spécialement un membre du même gang. Dans le cadre impersonnel et policé d’une galerie d’art contemporain, l’effet de placage ironique saute aux yeux, tout comme l’effort de transformer le cube blanc en maison familiale témoin, sinon en lieu de délinquance. Les deux types d’objets proposés ont les mêmes qualités : une apparence simple démentie par leur statut composite.
Accrochés sur des saillants qui poursuivent jusqu’au sol le plafond surbaissé, deux grands reliefs identiques (béton, tuiles, pierre et fer) se font face. Leur forme provient d’un dessin de cheminée du créateur et décorateur français des années 1950 Jean Royère… par ailleurs représenté par la même galerie. Ces esquisses, dont certaines n’ont jamais été réalisées, ont depuis longtemps fasciné Thomas Grünfeld.
Les cheminées de Grünfeld ont un statut similaire et de nombreuses significations. Sous leur trompeuse évidence, elles brouillent les pistes entre sculpture murale, objet pratique, décoration, appropriation et duplication. De forme ovale, elles contiennent vers le sommet un miroir convexe dans lequel le visiteur se reflète, environné par l’espace. Il peut lire toute l’exposition dans cet oeil omnivoyant et s’y inclure soi-même en tant que sculpture mobile. Ce puissant outil d’identification renforce l’impression d’intimité tout en multipliant les points de vue. Leur couleur crème et les traits sombres du dessin ne maintiennent qu’un instant le suspense sur leur fonction réelle. Pourtant, au prix de légers travaux d’isolation, la sculpture peut réellement fonctionner comme cheminée…
Sur les autres murs, sont accrochées plusieurs tapisseries de feutre (de dimensions comprises entre 70 x 90 cm et 150 x 170 cm). Elles illustrent un dilemme caractéristique de Thomas Grünfeld, entre défiance et désir de la représentation.
Les tapisseries résolvent ce conflit par le choix du naïf et l’emprunt d’une technique sans qualités, réservée dans la tradition aux femmes désoeuvrées. Entre bricolage et folklore, elles développent des motifs bigarrés, ludiques et sans signification univoque. Leur perspective boiteuse comme celle des images d’Épinal se double de références savantes, par exemple à l’hortus conclusus, le jardin clos de l’art médiéval. Le contexte de la galerie et l’encadrement confèrent cependant à ces tapisseries naïves comme des affiches une dignité toute picturale. Le choix du feutre comme matériau n’est évidemment pas neutre, avec son cortège de référents artistiques prestigieux (Beuys, Morris… et Grünfeld lui-même !).
Ainsi, des reliefs massifs issus d’un design exigeant aux tapisseries faussement ingénues, «Homey» est un dispositif complexe sur l’attraction et la variation, où des sources littérales fécondent de multiples résonances.
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Alexandre Quoi sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.
critique
Homey