Communiqué de presse
Stefan NiKolaev
Holy Spirit Rain Down
L’art est comme un bar maintenu ouvert au milieu des ruines. À l’heure du dépôt de bilan des croyances humaines, le visiteur dégrisé peut trouver encore à y étancher sa soif d’hypothèses et sa passion d’une géométrie partagée. On y sert en vrac tout ce qui a pu un jour conduire à l’exaltation des sens comme à la connaissance des mystères du vivant. C’est un bar sans coin VIP ni tri sélectif des clients. Naturellement, pour cette raison, il attire assez peu — comme les vieilles églises —, bien moins, en tout cas, que les boîtes de nuit.
La foule croit savoir d’emblée qu’elle n’y croisera guère que le «regard éteint du plâtre des statues» comme le dit le poète, et qu’elle n’y respirera pas les effluves de la viande échauffée dans la transe. Comme toujours, la foule se trompe. Stefan Nikolaev est de ces artistes encore assez jeunes (il est né en 1970) pour fréquenter les boîtes de nuit et croire simultanément à l’art comme abstracteur d’ambiance concurrente, fusionnant le paroxysme au lapidaire dans une visée de consommation acérée et néanmoins modérée.
Ses sculptures au fini d’impeccables bibelots offrent souvent la présence spectaculaire de sous-produits cultuels monumentaux, mariant le design industriel au luxe de l’orfèvrerie artisanale, le formalisme idolâtre à l’icône pop, la promotion commerciale à la désillusion métaphysique. On se souvient de ses immenses paquets de cigarettes en marbre gravé à l’or, évoquant par leurs dimensions des sortes de pierres tombales publicitaires matérialisant de manière brutale le message de mise en garde que tout paquet porte inscrit sur lui.
Ou, plus récemment, de sa réplique à l’échelle d’un distributeur automatique de billets de banque galvanisé à l’or 24 carats, transformant l’automate froid du numéraire en support séducteur du somptuaire, leurre troublant pour des regardeurs éblouis qui n’en peuvent alors retirer que le reflet de leur avidité éternellement suspendue et hor(au)rifiée… Que peut donner de mieux un artiste — pour reprendre la célèbre définition de l’amoureux par Lacan — sinon ce qu’il n’a pas et à des gens qui n’en veulent pas ?
Pour son exposition au centre d’art de Chelles, Stefan Nikolaev semble avoir conçu de nous donner encore davantage — l’amour suprême ? La foi en l’art ? Certes le lieu s’y prêterait bien: deux anciennes églises adossées ne faisant plus qu’une nef par l’action du ciment culturel et patrimonial (et l’intelligence du designer Martin Szekely). Dans la première, l’artiste a réalisé de curieux luminaires qui détournent le motif rebattu du porte-bouteilles duchampien en candélabres d’un style oserait-on dire «clérical-pop». Dans la seconde, il a rempli l’espace vacant des fenêtres gothiques par mille trois cent cinquante bouteilles d’alcool pleines, de teintes variées, sans étiquettes et qui, posées sur d’imperceptiblesétagères, filtrent la lumière solaire comme de véritables vitraux multicolores.
Cette remarquable prouesse de maître-verrier iconoclaste est-elle l’illumination mystique d’un soiffard ? Est-ce un hommage au ready-made comme intercesseur parfait de la vision dans la croyance à l’art ? Ou bien, à rebours de ce mode profane et sage de première communion, chaque visiteur se doit-il d’agiter son shaker solitaire au goût du cocktail qu’il imagine ? Et puis faut-il tout boire pour le croire ? Spirituellement et spiritueusement, ou bien ?… N’est-ce pas encore, à nouveaux frais, l’immortelle leçon de Maître Rabelais, le génial «abstracteur de quinte essence», qui se rejoue ici ? Arrivé au terme de son initiation et buvant enfin à la fontaine de la Dive Bouteille, chacun trouve l’eau au goût du vin qu’il imagine, et, lorsqu’il change d’imagination, l’eau change de goût. «Ô coeur, jamais tu ne sonderas le mystère, / Jamais tu n’éclairciras les subtilités des philosophes. /Faistoi un ciel du vin et de la coupe, / Car, au Ciel véritable, sais-tu si tu pénétreras jamais ?» (Omar Khayyam)