Yves Saint Laurent, Issey Miyake, Chloé par Karl Lagerfeld, Christian Lacroix, Jean Paul Gaultier…
Histoire idéale de la mode contemporaine vol.1
Dans une scénographie qui évoque l’idée de pages d’un ouvrage éclaté, près de 150 pièces et 40 vidéos retracent cette histoire parfois oubliée. Deux défilés, deux dates clés ouvrent et ferment ce premier volet : la collection d’Yves Saint Laurent de 1971 et le défilé «les rap-pieuses» de Jean Paul Gaultier en 1990. Soit 20 ans de collections passés au crible du regard du musée pour retenir les modèles les plus emblématiques.
L’exposition est le résultat d’un long travail d’identification, de visionnage de photos ou de films des défilés des quarante dernières années afin de privilégier ceux dont l’inventivité et le style témoignent d’un travail d’auteur. L’histoire idéale de la mode contemporaine révèle les collections les plus magistrales ou expérimentales, des grands noms de la mode mais aussi certains créateurs plus intimes et secrets. On perçoit, d’année en année, de saison en saison, les grands changements stylistiques et les partis pris de chacun des couturiers qui entretiennent l’idée d’une création de mode de qualité.
Les années 1970
Les années 70 se caractérisent par l’étendue du phénomène «Prêt-à -porter» dont Yves Saint Laurent est la figure tutélaire. Sa collection créée en 1971, hommage aux années 1940, à la fois scandaleuse et révolutionnaire, rend désuète l’image de la haute couture et sera déterminante pour l’avenir de la mode. Le terme de créateur est alors adopté pour désigner une génération de couturiers qui s’expriment dans le prêt-à -porter aux ambitions démocratiques. Des nouveaux stylistes se réunissent cette même année, sous l’appellation «Créateurs et Industriels» fondée par Didier Grumbach et Andrée Putman. Issey Miyake est un des plus brillants représentants insufflant un vent de modernité et de simplification à la mode dont le caractère novateur est aux antipodes des préoccupations occidentales de l’époque. Cacharel, Kenzo, Ter et Bantine par Chantal Thomass ou encore Dorothée Bis, expriment ce vaste élan lié à l’industrie du prêt-à -porter qui prend un essor formidable au point que tous les couturiers eux-mêmes initient des lignes plus accessibles. D’autres créateurs, comme Sonia Rykiel, très présente sur la scène de la mode depuis la fin des années 1960, ou Karl Lagerfeld pour Chloé, sont au sommet de leur expression créative.
Tous deux, influencés par les années 1930, renouvellent l’image d’une femme ultra sophistiquée, d’allure nonchalante mais ayant une réelle élégance. Madame Grès, figure singulière et d’exception, contemporaine de Madeleine Vionnet, de Mademoiselle Chanel, de Cristobal Balenciaga et de Monsieur Dior, virtuose du jersey depuis les années 1930, occupe le devant de la scène de l’essor du prêt-à -porter avec des collections, dans les années 1970, qui tranchent par l’épure. De leur côté Chantal Thomass, Dorothée Bis et Kenzo, qui poursuivent le travail de leurs aînées et pionnières Emmanuelle Khanh, Christiane Bailly et Michèle Rozier, deviennent les créateurs de mode jeune aux antipodes des anciens principes de la haute couture.
À partir de 1976, les nouvelles créations de Thierry Mugler vont clore le chapitre d’une décennie placée entre évasion et pragmatisme d’une grande jeunesse. Mugler anticipe le portrait du créateur démiurge et visionnaire des années 1980.
Les années 1980
Les années 1980 sont synonymes d’indépendance, d’autonomie de création à la fois festives et débridées. Elles se caractérisent par une liberté de ton, d’expression et d’excès, empreinte d’une créativité toujours rompue et renouvelée. Une génération de créateurs japonais s’est démarquée par l’usage de l’asymétrie de tissus froncés, déchiquetés et souvent noirs. Les collections de Rei Kawakubo pour Comme des Garçons sont des ruptures stylistiques d’une saisissante modernité qui engagent l’Occident vers un nouveau rapport au vêtement.
Yohji Yamamoto partage ce goût pour la déconstruction en formulant une vision personnelle et sensuelle de la mode qui trouve son apothéose dans les années 1990. Jean Paul Gaultier symbolise l’ère de l’insolence en contestant les conservatismes. Son travail consiste à démolir les vestiaires masculins et féminins. Il introduit des gestes de mode, une «  dégaine  » et une culture qui fabriquent ensemble l’esthétique de la mode de cette décennie. Thierry Mugler et Claude Montana, dans un registre spectaculaire pour le premier, théâtral pour le second, poursuivent leurs obsessions. Fantasmant la garde-robe idéale d’une femme dominatrice aux épaules carrées, surdimensionnées, à la taille étranglée, devenant le moule de la silhouette des années 1980.
Gourmande autant que généreuse, la décennie favorise l’éclosion de créateurs aux vocabulaires distincts, des plus futiles aux plus essentiels. Parmi eux, Marc Audibet et Azzedine Alaïa énumèrent une mode s’inscrivant dans la lignée des œuvres de Madeleine Vionnet ou Cristóbal Balenciaga. Roméo Gigli et Sybilla envisageront de nouveaux atours pour une femme romantique, au charme fané. Karl Lagerfeld chez Chanel en 1983, Christian Lacroix chez Jean Patou en 1981, puis dès 1987 pour lui-même, renouvellent l’industrie luxueuse de la haute couture. Ils réveillent tulles et dentelles et inaugurent un courant baroque ou historique. Popy Moreni, créatrice italienne, n’hésite pas à faire du costume de la Commedia dell’arte un vêtement quotidien. De son côté, Jean-Charles de Castelbajac inaugure les relations entre l’art et la mode. Avant que les années 1990 et 2000 n’inaugurent l’ère des monopoles de luxe auxquels appartiennent les destinées des maisons de mode, la décennie « toc et chic », souvent citée stylistiquement, demeure synonyme d’autonomie et d’indépendance créatives. En 1989, le premier défilé de Martin Margiela, porte-drapeau de l’école belge, prépare le terrain aux années 1990.