Par Julia Peker
Julia Peker. Les corps saisis par les photogrammes sont à la fois très présents puisqu’on en a l’empreinte, et anonymes, fantomatiques. Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’image du corps?
Henri Foucault. Pour la série «Sosein», j’ai travaillé avec six modèles, en les répartissant de manière régulière pour qu’on ne saisisse pas deux fois le même corps. L’idée qu’avec peu de corps, on peut exprimer la multitude, ça m’intéresse beaucoup. J’aurais même pu utiliser deux fois moins de modèles, on aurait pu avoir le même effet: le foisonnement, le rythme participe à l’idée de la multitude, et d’universel. Ce qui m’intéresse, c’est le corps dans sa dimension sculpturale, dans ce qu’il a de moins anecdotique.
Comment passez-vous de la photographie au montage monumental de la série?
La pièce Sosein, créée pour le Palazzo Fortuny de Venise en 2005, mesure 16 mètres de long par 14 de hauteur. Le problème, quand on travaille avec du monumental, c’est de voir l’œuvre à l’échelle réelle, de spéculer sur son impact réel puisqu’il est impossible de la voir. L’œuvre est véritablement créée au moment de l’exposition. C’est un problème que je connais bien avec la sculpture, il faut supprimer ce qui est de l’ordre du détail pour avoir un impact global.
Quel est le rapport entre cette pièce et la sculpture?
J’ai commencé Sosein en 2000, en travaillant sur les questions d’absence/présence, négatif/positif, moulage/tirage. Le photogramme est une empreinte: les parties collées sur le papier apparaissent blanches, c’est très troublant. Dans le moulage, on a aussi cet effet inverse. Ensuite l’image est transpercée, je retire du substrat photographique. Je place derrière l’image percée un deuxième photogramme, fait à partir d’une grille géométrique qui en reprend le tracé. Ce montage crée un effet de moirage, d’émiettement du corps, de fragilité.
Dans les Satori, à l’inverse, vous rehaussez le photogramme d’épingles en inox, disposées régulièrement.
On est dans deux techniques inverses, l’une de taille directe, l’autre de remodelage. Les épingles participent au remodelage, je m’arrange pour que le tour de l’image soit assez serré, et que progressivement les épingles s’élargissent. Il y a un léger décrochage entre le centre et le contour pour que l’image se remodèle. L’œil saisit d’abord le contour du corps, puis rebondit sur les épingles.
Et la découpe de l’image en carrés?
L’idée de morceler le corps était liée à celle de morceler l’image,
Les corps sont à la fois asexués, et très sensuels dans leur mouvement.
Tous les Satori sont faits avec des femmes, mais je ne cherche pas à ce que tous les corps soient érotisés. Dans la vidéo Macula, le modèle a un corps très sec, les attaches de son corps sont très marquées. Ce qui m’intéresse, et là c’est le sculpteur qui parle, ce sont les tensions. En même temps, elle est très sensuelle par sa danse. L’enjeu, c’est de représenter le corps sans tomber soit dans un registre érotisant, soit dans un registre figuratif. J’ai tout de suite fait des sculptures abstraites, et c’est un vocabulaire abstrait de sculpture qui m’a amené à la photographie.
On a à la fois le corps dans ce qu’il a de plus intérieur (son squelette, ses organes) et de plus extérieur (sa silhouette). La transition, la matière corporelle, semble avoir disparu.
Oui, mais c’est ça que la sculpture vient transcender. Le photogramme devient surface de travail.
Le photogramme est une expérience de laboratoire, le dispositif technique permet-il de maîtriser et prévoir les effets esthétiques?
On ne peut pas tout contrôler sur le photogramme, on peut imaginer les poses les plus intéressantes, mais c’est très expérimental. Même la chimie du corps laisse des traces imprévisibles, si le modèle est essoufflé par exemple. Il y a des séries toutes entières qu’on ne peut pas utiliser.
Donc le photogramme laisse apparaître quelque chose de l’état psychique du corps?
Oui, en fonction de l’humeur d’un même modèle, de ses tensions, les photogrammes sont très différents, comme si le corps faisait certaines réactions avec la couche photosensible. Sous les talons, les coudes, les articulations, on peut avoir des traces de la peau. Il y a une réaction chimique directe entre la peau et le papier. Le photogramme donne la surface des corps, et révèle une vie intérieure. Même un contour dit beaucoup, je ne suis pas sûr que voir le corps intégralement rajouterait des choses.
C’est au plus près de la matière qu’on voit les choses les plus étonnantes.
Et c’est presque aussi comme un instantané photographique, on peut faire un portrait de quelqu’un, et à 5 minutes d’intervalle, donner à voir un visage complètement différent. Avec le photogramme c’est pareil, on peut avoir une multitude de corps pour une seule personne. On pourrait s’imaginer qu’une empreinte c’est une empreinte, mais ça n’a rien à voir avec la méthode Bertillon. C’est aussi changeant qu’on peut l’être dans le mouvement. Le corps bouge, a ses arrondis; la lumière produit des effets de perspective, certains membres sont raccourcis. Tout ça c’est du domaine de l’expérimentation.
Vous donnez la forme d’un travail sériel à ces expérimentations, quel est le principe de construction d’une série?
L’épuisement ! J’ai des séries qui se sont closes instantanément. Pour celle sur la lumière, j’ai fait 30 pièces à la suite, de la couleur du spectre de Newton au noir absolu. Le principe de la série, c’est comme la collection, on aboutit par l’épuisement et non par la satisfaction. Mais maintenant je me connais bien, quand je suis gagné par la lassitude de la série, c’est qu’il y en a une autre qui commence à prendre sa place.
Vous êtes déjà épuisé pour cette série?
Non, mais je pense à d’autres projets où la question de l’œuvre de grande dimension va ressurgir, avec des formes plus complexes et d’autres technique. J’ai l’utopie de grands panneaux qui réussiraient à mettre ensemble des formes réellement en relief et des photogrammes revisités en relief, des espèces de grand collage.
English translation : Margot Ross
Traducciòn española : Maite Diaz Gonzalez