Tout part d’une chanson, ou presque… À commencer par le titre de l’exposition lui-même «Helpless» (Sans défense), tube folk de Neil Young. On pénètre dans la salle à tâtons, dans la pénombre. Un rideau de velours sombre, où scintillent des milliers de strass, recouvre toute la longueur du mur, comme des constellations d’étoiles. Trois projecteurs sont dirigés vers le centre du mur et sur le sol, tandis que le mot «Helpless» est inscrit sur le rideau en lettres de strass. Le dispositif théâtral indique qu’un spectacle va se produire, mais sa nature reste indéterminée.
Dans l’entrebâillement du rideau se tient un petit renard naturalisé que la littérature enfantine associe souvent à l’image d’un animal rusé et malveillant. Figé dans son dernier souffle, son regard apeuré provoque une sensation de malaise. Il ne semble pas vouloir s’aventurer dans la salle, juste observer les visiteurs. Est-il lui-même acteur ou spectateur de la scène? L’indétermination spatio-temporelle et l’absence de dénouement, sont typiques du théâtre de l’absurde, qu’il semble vraiment apprécier pour ses situations comiques et insensées…
La pièce intitulée Ohlala se compose d’un portique à échelle réelle qui occupe presque tout l’espace. Entre la balançoire, les anneaux et la corde à grimper s’est glissée l’étrange sculpture d’une dent géante, qui gît sur le sol, attachée au portique par une corde. Un halo de lumière qui encercle l’œuvre, en renforce l’aspect dramatique: cette dent de lait échouée à proximité d’un espace de jeu pourrait symboliser la fin de l’enfance.
Sur le mur d’en face, une aquarelle intitulée Sad Song (chanson triste) évoque une image mentale qui est apparue à Pierre Ardouvin alors qu’il conduisait en écoutant la radio. Elle dépeint une série d’arbres dénudés, inquiétants; ainsi qu’un chemin tortueux et labyrinthique composé de larges traits gris. Pierre Ardouvin utilise ici l’aquarelle, pour représenter des scènes situées entre rêve et cauchemar, le médium favorisant une certaine spontanéité d’exécution. Le titre Sad Song, qui est emprunté à Lou Reed, renforce le sentiment de mélancolie qui se dégage l’œuvre.
L’installation La Nuit je mens est constituée de longs rondins verticaux disposées en forme d’enclos dont les ombres portées sur les murs blancs évoquent des barreaux de prison. Les espaces entre les rondins laissent entrevoir à l’intérieur une forêt de branches naturelles qui servent de perchoirs à des oiseaux naturalisés. Différentes espèces se côtoient, du perroquet exotique au plus commun des corbeaux. Le mariage singulier de cette faune et cette flore constitue un écosystème insolite.
Comme dans Helpless, les animaux naturalisés apportent un côté poétique et dérangeant. La présence de ces êtres sans vie, qui nous observent, s’avère oppressante. On se souvient des Oiseaux d’Hitchcock, où ces petites bêtes a priori sans défense, deviennent de cruels ennemis pour l’homme.
Dans l’ensemble des environnements présentés au rez-de-chaussée, Marcel affiche un ton plus léger. Une sculpture en toutes lettres dorées du prénom Marcel est fixée sur un podium, éclairée par quatre spots et, tourne sur elle-même grâce à un support rotatif. En fond sonore, la chanson Mourir sur scène interprétée par Dalida tourne en boucle. Le volume élevé et la lumière stroboscopique créent une ambiance de discothèque. Quant au dénommé Marcel, qui est-il? Évidemment Marcel Duchamp, puisque l’œuvre a été créée en 2007, quand Pierre Ardouvin a remporté le prix éponyme. Une façon de saluer et de démystifier à la fois le maître… Plus prosaïquement, à Sète, «Marcel» peut être aussi un clin d’œil en direction du fameux débardeur du Sud de la France.
Les références à la culture populaire permettent d’établir des connivences avec les visiteurs, ou de raviver des souvenirs d’enfance qui occupent une large place dans l’œuvre de Pierre Ardouvin. Toutefois, cette esthétique du banal peut devenir étrangement inquiétante, lorsque les objets ordinaires, détournés de leurs usages quotidiens, s’animent. À l’inverse, les êtres vivants s’immobilisent. Le familier devient alors l’étranger.
Le doute est central à l’exposition, notamment au travers du kitsch et de l’artifice qui participent de cette culture du fake. Les diamants ne sont que strass, les animaux sont empaillés, la fourrure est synthétique. Les objets du quotidien revêtent parfois une dimension fantasmagorique. Comme dans L’Ile où un parquet entouré de néons bleus, et sur lequel sont posés un porte-manteau brun et des vêtements verts, forme l’étrange mirage d’un îlot exotique.
La société des loisirs fait l’objet de deux séries de photographies exposées à l’étage. Dans la série Inclusions des cartes postales issues de la collection personnelle de l’artiste présentent différentes vues de paysages touristiques. Les images sont recouvertes d’une résine épaisse dans laquelle sont incrustées des insectes. Saynètes de vacances et paysages bucoliques sont ainsi figés dans le temps et «polluées» par ces insectes peu attrayants. Pierre Ardouvin revisite ainsi avec humour le concept désuet de la carte postale, et en propose une version à mille lieux de l’univers idyllique qu’elle est censée évoquer.
Dans la série Écrans de veille, deux cartes postales ont été scannées, agrandies, puis imprimées sur toile, et grossièrement raccordée avec de la peinture. Puis, une couche de résine pailletée apporte un fini brillant et décoratif à l’ensemble. Chaque duo d’images aboutit à une association aussi étrange et poétique qu’arbitraire.
En fin d’exposition, La Roue de la fortune est constituée d’un ensemble de chaises blanches en plastique, disposées autour d’un plateau circulaire recouvert de tissus multicolores et animé par un moteur. On reconnaît bien sûr la fameuse roue du jeu télévisé, même si aucun gain n’est prévu. On peut s’asseoir sur une chaise pour regarder tourner la roue dans un sens puis dans l’autre, sans jamais s’arrêter. Le son d’une scie musicale renforce l’effet hypnotique du mouvement de «transe» de la roue. Mais à nouveau notre attente est déçue lorsque l’on comprend que cette «roue de la chance» n’élira personne…
Å’uvres
− Pierre Ardouvin, Série «Écrans de veille», 2012. Impressions sur toile, résine, paillettes, aggloméré, encadrement. 145 x 105 cm chacun.
− Pierre Ardouvin, Helpless, 2013. Rideau velours, strass, renard naturalisé. Dimensions variables.
− Pierre Ardouvin, Série «Inclusions», 2012-2013. 18 cartes postales, résine d’inclusion, insectes. 10 x 15 cm chacune.
− Pierre Ardouvin, L’ïle, 2007. Bois, linoléum, porte-manteau, vêtements, néons colorés. 323 x 541x 200 cm.
− Pierre Ardouvin, La Nuit je mens, 2013. Installation. Bois, oiseaux naturalisés, éclairage spécifique.
− Pierre Ardouvin, La Roue de la fortune, 2013. Chaises de jardin blanches, plateau tournant, système sonore et tissus. Dimensions variables.
− Pierre Ardouvin, Ohlala, 2013. Installation. Portique de jeux, sculpture de dent agrandie, résine et plâtre. Dimensions variables.
− Pierre Ardouvin, Sad Song, 2011. Aquarelle et crayon sur papier encadré.