Pierre Ardouvin
Helpless
Le travail de Pierre Ardouvin trouve une résonance particulière dans la ville de Sète, ville portuaire, ouverte sur l’ailleurs méditerranéen. «Le désert», «l’île», «la mer», «l’exil», le déracinement sont en effet des motifs clés de cette Å“uvre. La métaphore de l’île, territoire légèrement décroché du monde que Gilles Deleuze définissait comme le «véritable prototype de l’âme collective», est appréhendée par l’artiste comme une allégorie de la condition de l’homme, constamment partagé entre le besoin de racines et le désir de s’élancer pour conquérir «son» univers.
Fortement ancrées dans l’imaginaire du rêve et du fantasme, les Å“uvres présentées utilisent autant les vastes espaces du CRAC que ses recoins, comme dans la pièce «Le vide emplit mes yeux» où l’artiste donne accès aux «combles» d’une salle à travers un plafond rabaissé.
L’espace, comme souvent chez l’artiste, est aussi le moyen de rendre sensible le mouvement statique de la pensée et le ressassement du souvenir. A l’image de l’enclos de La nuit je mens, évoquant le double mouvement de l’introspection intime et celui de la claustration, des dispositifs tournant sur eux-mêmes, tels Marcel ou la Roue de la fortune évoquant aussi l’aliénation du spectacle médiatique. Le mouvement ne donne lieu ici à aucune libération. Il permet rarement une avancée, mais évoque plutôt le piétinement, celui, nostalgique, d’une âme empêtrée dans la contemplation d’un passé factice.
Ce sur-place, le visiteur l’expérimente dans l’attente, confronté au récit d’un monde en train de s’achever, et dont il serait le témoin involontaire. Dans cette exposition, toutes les pièces sont ainsi plus ou moins suspendues dans un espace-temps indéfini, atopique et achronique, un entre-deux-mondes. Brouillant la stabilité des limites entre le dedans et le dehors, le passé et le présent, l’espace de la représentation et du représenté, Pierre Ardouvin implique le spectateur dans une expérience incertaine, où des figures oubliées, tapies dans l’inconscient collectif, ne cessent de refaire surface, par effraction.
C’est à travers des gestes simples, non héroïques, que l’artiste opère de subtils glissements de fonctionnalité à partir des référents les plus galvaudés du quotidien: une nappe posée sur un plateau tournant pour évoquer «la Roue de la fortune», une banale palissade se transformant en forêt onirique, un porte-manteau et une découpe de parquet composant le paysage d’une île déserte, ou encore l’assemblage de deux manteaux de fourrure synthétique faisant surgir la vision d’une créature surnaturelle.
Mélange d’innocence enfantine et d’âpreté diffuse, le monde de Pierre Ardouvin fait basculer à tout moment de l’émerveillement à l’inquiétude, du désir à l’attente. Il y a aussi les vacances au soleil, l’imagerie carte-postale des stations balnéaires que l’artiste se réapproprie à l’envie, multipliant les clins d’œil à une sorte de folklore sentimental et suranné.
Dans ce contexte géo-imaginaire, Marcel, hommage grinçant à l’inventeur de l’art conceptuel présenté à l’occasion du Prix Duchamp, déploie de nouveaux potentiels de lectures. A Sète, Marcel s’ouvre à tous les autres «Marcel», prénom dont la gloire continue ici à défier le temps. A moins qu’il ne s’agisse du tricot de peau porté par les dockers ou les «plagistes»? Si, comme souvent chez Pierre Ardouvin, le voyage piétine, la nostalgie s’emparant du souvenir, l’artiste a tenu à laisser ouverte la perspective d’une véritable évasion dans l’espace fermé du Centre d’art, le public pourra prolonger son parcours à l’air libre, face à la mer. Ouverture métaphorique sur un ailleurs, lui, bien réel.
Commissariat: Noëlle Tissier
Pierre Ardouvin est né en 1955. Il vit et travaille à Montreuil, France.
Vernissage
Vendredi 28 juin 2013 Ã 18h30
critique
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