Depuis plusieurs années, Hélène Benzacar utilise des animaux empaillés dans sa pratique photographique. L’animal empaillé est proche de la momie. Figé dans la pose construite par le taxidermiste, préservé des ravages du temps, il rappelle l’immobilité de la photographie. Il est comme une photographie en trois dimensions. Ici, l’art du taxidermiste précède celui du photographe — la taxidermie peut engendrer des sentiments mêlés, l’enchantement aussi bien que de dégoût, puisque l’animal naturalisé rappelle aussi le cadavre.
La photographie d’un animal empaillé est littéralement une image d’image. On a pourtant l’impression que c’est la photographie d’un animal vivant : les poils ont l’air brillant, le regard de la bête, lorsqu’il est visible, semble intentionnel, et la pose apparaît naturelle. Comme si le processus photographique avait redonné vie à l’animal empaillé. Il s’agit bien sûr d’une illusion. Le « faire-vivant » de la photographie renvoie au côté ironique de la ressemblance.
Le photographe a satisfait ce ancien principe de la mimésis selon lequel la vérité de l’art (de la copie) réside dans sa capacité à tromper le spectateur. C’est la fable de Zeuxis, qui peignait des raisins capables d’abuser les oiseaux au point où ils essayaient de les manger. Cependant, pris sous certains angles, le loup donne l’impression de n’être pas vivant. Le côté figé de la pose mortifie le sujet. Ce qui révèle que ressemblance et immobilité sont associées à la mort.
Alors que les liens de la photographie avec l’art funéraire, le deuil et la mélancolie ont été souvent soulignés, le travail d’Hélène Benzacar privilégie les aspects artificiel, construit et ludique de la photographie dans la production de l’effet de ressemblance.
Les photographies du loup ne sont pas des portraits animaliers. Dans le portrait animalier, l’animal vivant, donc imprévisible, est situé dans son environnement naturel. Il s’agit de saisir et transmettre les merveilles de la nature, sans « trucages » ni manipulations, dans le plus grand respect des espèces animales ou végétales. Les images d’Hélène Benzacar sont le résultat d’une théâtralisation, mais sans renoncer à l’aspect documentaire de la photographie animalière.
Alors que la photographie est réputée enregistrer des traces, elle n’en laisse souvent aucune. Comme certaines activités criminelles, les images dissimulent les conditions de leur production. Walter Benjamin écrivait au sujet des photographies de rues vides d’Eugène Atget, qu’elles montraient la scène d’un crime…
Hélène Benzacar laisse au contraire toujours des indices de ses mises en scène, pour contrecarrer l’illusion. Comme un meurtrier qui signe son geste. Les écrans de verre, par exemple, qui traversent les espaces et capturent les reflets, sont de discrets indices du montage.
L’art est de l’ordre de la genèse, de la gestation active, du processus, du faire. Exposer les moyens et présenter le faire de la photographie, c’est interroger sa façon d’être art.
Dans cette œuvre avec le loup, les références artistiques sont multiples. L’utilisation du feutre comme matériau pour recouvrir le corps de l’enfant fait directement référence à Joseph Beuys.
En outre, dans sa vidéo Coyote (1974), Beuys a enregistré sa cohabitation avec un coyote pendant une semaine à la galerie René Block à New York, sa confrontation à l’animal. Beuys cherchait à capter les forces originelles du continent américain dans un scénario basé sur le contact et la distance avec le coyote, la neutralisation et l’énergie.
Dans ce cadre, le feutre est à la fois conducteur de chaleur et isolant — isolant physique, thermique et aussi conceptuel.
Dans les œuvres contemporaines, l’animal est plutôt le support d’une présence. Paradoxalement humain, parce que silencieux, il renvoie à la vie, celle de son « auteur », celle du spectateur.
Les animaux conservés dans le formol de Damien Hirst, tirent leur présence d’un déplacement : « Je ne pouvais pas exprimer ce que je voulais en peignant ou en photographiant un objet. J’avais besoin de la chose réelle » (Damien Hirst au sujet de Mother and Child Divided, 1993, vache et veau).
Voici quelques années, Oleg Kulik s’est fait connaître de la scène artistique occidentale en mordant le public des expositions. À quatre pattes, aboyant de façon très agressive, ce qui n’a pas manqué de soulever de fortes polémiques. Plus récemment, ses grandes photographies mettent en scène des fantômes humains (images en surimpression) dans une nature paradisiaque peuplée d’animaux sauvages.
Chez Kulik, l’animal n’est pas un simulacre, ni une forme dégradée d’humanité. Il tient l’homme socialisé en respect, le renvoie au stade d’avant le langage. C’est un animal-témoin qui scrute l’homme et le dépasse parfois en humanité…
— À l’intérieur du loup (Dispositifs 4, 5, 6), 2003. Installation : 14 photos contrecollées sur aluminium, cadres de bois noirs, coyote naturalisé sur un socle d’acier, 3 néons blancs. Installation : 200 x 400 cm; photos : 50 x 50 cm.
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