Daniel Dewar et Grégory Gicquel sont deux électrons libres échappés du circuit très normé de la chaîne industrielle et de l’art contemporain. Quoi de plus absurde que de fabriquer à la main une copie conforme d’une basket Nike, Stan Smith ou Coston quand des milliers de chaussures du genre sont en promotion dans les plus grandes chaînes de magasins? Et pour les exposer de surcroît les unes en dessous des autres aux murs de la galerie, imitant scrupuleusement la présentation coutumière de ces produits de vente.
Les objets sculptés dans le bois, soudés et moulés dans l’acier ou dans le plâtre, recouverts de peinture vinylique ou coloriés au feutre fluo, sont autant d’éléments qui transforment, le temps de l’exposition, la galerie Loevenbruck en une quincaillerie provinciale.
Sur un des murs est collée horizontalement une frise en forme de chaîne de tronçonneuse vendue au mètre ; sur les autres sont accrochés des calendriers agrandis jusqu’au format poster — un clin d’œil à l’inévitable objet de décoration des ateliers masculins — qui listent des modèles de scies sauteuses, de cuillères de pêche ou d’autres outils de bricolage.
Au sol se trouvent encore des superpositions de planches faites de copeaux de bois compressés ou encore des blocs en guise de bancs taillés dans le bois à la tronçonneuse et peints de soleils levants, dont le titre Art brut progressif reprend avec emphase et ironie les volontés acharnées de désigner des spécificités, jusqu’à en perdre le sens.
Les titres, de manière générale, déclinent avec un soupçon d’humour, le travail très technique qui a donné naissance aux oeuvres: Cadres de BMX de format 20, 75 pouces au top tube, tubulure acier A37 étirée à froid, soudure TIG, blason en laiton nickelé réalisé par l’entreprise Gourlot, peinture anticorrosion de couleur grise.
Alignés les uns en dessous des autres, ces BMX apparaissent, telles des icônes exposées avec fierté, comme autant de trophées déposées sur l’étagère du sportif.
Faites de produits manufacturés, issues d’un processus de réalisation prédéterminé, les œuvres s’apparentent à l’art minimal, sans toutefois en avoir le caractère puritain et strict. Les objets s’égayent sous les couleurs vives, comme ces poteaux de clôture en bois récupérés sur un chantier, et sur lesquels ont été dessiné des carpes japonisantes fluo.
Daniel Dewar et Grégory Gicquel sont proches du readymade qui, selon Marcel Duchamp « ramène l’idée de la considération esthétique à un choix mental, et non plus à la capacité ou à l’intelligence de la main ».
Pourtant l’objet est ici à la fois déplacé de son contexte, comme les readymade, mais aussi fabriqué à nouveau. A la série de l’objet industriel, les artistes ajoutent la « patte » humaine. Ils effacent systématiquement les marques ou logos pour leur substituer un blason portant le titre de l’exposition.
Le blason apposé sur les BMX et les affiches est moins un signe commercial que l’expression d’une distance prise avec le monde de l’économie. La fabrication en série limitée, toutefois proche de la production industrielle, repose sur une attention particulière accordée à la confection de l’objet.
Cette attention au faire, et non pas seulement à l’idée, confère à l’objet une légitimité artistique. L’objet est le résultat d’un processus scrupuleusement étudié dans lequel la recherche de perfection technique s’apparente à celle des artisans. Il faut pour cela analyser les procédés et les secrets de fabrication, donc mener des enquêtes auprès des fabricants, fournisseurs ou sponsors. Inscrire l’œuvre dans une posture de la rencontre, de la négociation et de l’échange.
Daniel Dewar et Grégory Gicquel :
— Handcrafted BMX Frames, 2004. Tubulure A37.
— (DA) Post, 2004. Bois exotique sculpté et peint.
— Le Handmade Chipboard, 2004. Copeaux.
— Bench (Curb), 2004. Chêne.
— Chainsaw Blade, 2004. Plâtre.
— Handmade Shoes (en collaboration avec Patrice Gaillard et Claude), 2003. Techniques mixtes.
— Lures Poster, 2004. Techniques mixtes.
— Saw Blades Poster, 2004. Techniques mixtes.
— (Da) Heavy Duty Self Made Material Boy Hardware Store Poster, 2004. Techniques mixtes.
— Misc Poster, 2004. Techniques mixtes.